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DESDÉMONA.

La pauvre enfant était assise, en soupirant, auprès d’un sycomore.

Chantez tous le saule vert.

Sa main sur son cœur, sa tête sur ses genoux;

Chantez le saule, le saule, le saule.

Le frais ruisseau coulait près d’elle, et répétait en murmurant ses gémissements;

Chantez le saule, le saule, le saule.

Ses larmes amères coulaient de ses yeux et amollissaient les pierres;

(À Émilia.) Laisse ceci là:

Chantez le saule, le saule, le saule,

(À Émilia.) Je t’en prie, dépêche-toi; il va rentrer.

Chantez tous le saule vert; ses rameaux feront ma guirlande.

Que personne le blâme; j’approuve ses dédains:

Non; ce n’est pas là ce qui suit. – Écoute; qui frappe?

ÉMILIA. – C’est le vent.

DESDÉMONA.

J’appelais mon amour, amour trompeur; mais que me disait-il, alors?

Chantez le saule, le saule, le saule.

– Si je fais la cour à plus de femmes, plus d’hommes vous feront la cour [22].

(À Émilia.) Va-t’en. Bonne nuit. Les yeux me font mal. Cela présage-t-il des pleurs?

ÉMILIA. – Ce n’est ni ici ni là.

DESDÉMONA – Je l’avais ouï dire ainsi. Oh! ces hommes, ces hommes! – Dis-moi, Émilia: – crois-tu en conscience qu’il y ait des femmes qui trompent si indignement leurs maris?

ÉMILIA. – Il y en a; cela n’est pas douteux.

DESDÉMONA. – Voudrais-tu faire une pareille chose pour le monde entier?

ÉMILIA. – Et vous, madame, ne le voudriez-vous pas?

DESDÉMONA. – Non, par cette lumière du ciel.

ÉMILIA. – Ni moi non plus, par cette lumière du ciel. Je le ferais tout aussi bien dans l’obscurité.

DESDÉMONA. – Mais, voudrais-tu faire une pareille chose pour le monde entier?

ÉMILIA. – Le monde est bien grand; c’est un grand prix pour une petite faute!

DESDÉMONA. – Non, en vérité, je pense que tu ne le voudrais pas.

ÉMILIA. – En vérité, je crois le contraire, et que je voudrais le défaire après l’avoir fait. Certes, je ne ferais pas une pareille chose pour un anneau d’alliance, une pièce de linon, des robes, des jupons, des chapeaux, ni pour une médiocre récompense; mais pour le monde entier… Et qui refuserait d’être infidèle à son mari pour le faire roi? À ce prix je risquerais le purgatoire.

DESDÉMONA. – Que je sois maudite si je voudrais commettre un pareil crime pour le monde entier!

ÉMILIA. – Bah! Le crime n’est qu’un crime dans le monde, et si vous aviez le monde pour votre peine, votre crime serait dans votre monde, et vous en feriez sur-le-champ une vertu.

DESDÉMONA. – Et moi je ne crois pas qu’il y ait de pareilles femmes.

ÉMILIA. – Il y en a par douzaines, et encore autant par-dessus le marché qu’il en tiendrait dans ce monde entier qui serait le prix de leur faute: mais je pense que la faute en est aux maris si les femmes succombent; voyez-vous, ils négligent leurs devoirs, et versent nos trésors dans le sein des étrangères, ou ils éclatent en accès d’une insupportable jalousie, et nous accablent de contraintes, ou ils nous battent et diminuent pour nous faire enrager ce que nous avions à dépenser; eh bien! alors nous avons de la rancune, et en dépit de notre douceur, nous sommes capables de vengeance. Que les maris sachent que leurs femmes sont sensibles comme eux; elles voient, elles sentent, elles ont un palais qui sait distinguer ce qui est doux et ce qui est amer comme les maris. Que font-ils quand ils nous abandonnent pour d’autres? est-ce par plaisir? je le crois; est-ce par passion? je le crois encore; est-ce la légèreté qui les entraîne? c’est aussi cela. Et nous, donc, n’avons-nous pas des passions, et le goût du plaisir et de la légèreté comme les hommes? Qu’ils nous traitent donc bien; sinon qu’ils sachent que, nos torts envers eux, ce sont leurs torts envers nous qui les amènent.

DESDÉMONA. – Bonne nuit, bonne nuit. Que le ciel m’inspire l’habitude de ne pas apprendre le mal par le mal, et de me corriger au contraire par la vue du mal!

(Elles sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

Une rue.

Entrent JAGO et RODERIGO.

JAGO. – Là, mets-toi derrière cette borne. – Dans l’instant il va venir. Tiens ta bonne épée nue, et plonge-la dans son sein: ferme, ferme, ne crains rien; je serai à côté de toi. Ceci nous sauve ou nous perd: songes-y et affermis-toi dans ta résolution.

RODERIGO. – Tiens-toi près de moi: je peux manquer mon coup.

JAGO. – Ici, sous ta main. – Sois ferme et tire ton épée.

(Il se retire à peu de distance.)

RODERIGO. – Je ne me sens pas très-porté à cette action. Cependant il m’a donné des motifs déterminants. – Après tout, ce n’est qu’un homme mort. – Allons, mon épée, sors du fourreau. – Il mourra.

(Il va à son poste.)

JAGO. – J’ai frotté ce jeune bouton presque jusqu’à le rendre sensible, et le voilà qui s’irrite. Maintenant qu’il tue Cassio, que Cassio le tue, ou qu’ils se tuent tous deux, quoi qu’il arrive, j’y trouve mon profit. – Si Roderigo vit, il me somme de lui restituer l’or et tous les bijoux que je lui ai escamotés sous le nom de présents pour Desdémona. Il ne faut pas que cela soit. Si Cassio survit, il y a dans sa vie un éclat de tous les jours qui me rend hideux. – D’ailleurs le More peut me dévoiler à lui: je vois là un grand péril pour moi. – Non, il faut qu’il meure. – Mais chut! je l’entends qui vient.

(Entre Cassio.)

RODERIGO. – Je reconnais sa démarche. C’est lui. (Il s’élance et fond sur Cassio.) Misérable, tu meurs.

CASSIO. – Ce coup en effet m’eût été fatal, si mon armure n’était meilleure que tu ne croyais. Je veux éprouver la tienne.

(Il tire son épée et blesse Roderigo.)

RODERIGO. – Oh! je suis mort.

(Jago s’élance de sa place, frappe Cassio par derrière à la jambe, et s’en va.)

CASSIO. – Je suis estropié pour toujours. Oh! du secours! au meurtre! au meurtre!

(Il tombe.)

OTHELLO, dans l’éloignement. – La voix de Cassio! – Jago tient sa parole.

RODERIGO. – Ô misérable que je suis!

OTHELLO. – Oui, c’est cela même.

CASSIO. – Oh! du secours! un chirurgien! de la lumière!

OTHELLO. – C’est lui. – Ô brave Jago, homme juste et honnête qui ressens si généreusement l’injure de ton ami, tu m’enseignes mon devoir. – Femme, votre amant est couché mort et votre destin arrive à grands pas. – Prostituée, j’arrive. Hors de mon cœur et ces charmes et tes yeux, tout est effacé. Ton lit, ce lit souillé par l’impudicité, va être taché du sang de l’impudique.

(Il s’éloigne.)

(Entrent Lodovico et Gratiano, à distance.)