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BRABANTIO. – Appelez mon frère. – Oh! que je voudrais vous l’avoir donnée! – Que les uns prennent un chemin, et les autres un autre. – Savez-vous où nous pourrons la surprendre avec le More?

RODERIGO. – J’espère pouvoir le découvrir, si vous voulez emmener une bonne escorte et venir avec moi.

BRABANTIO. – Ah! je vous prie, conduisez-nous. À chaque maison je veux appeler: je puis demander du monde presque partout: Prenez vos armes, courons: rassemblez quelques officiers chargés du service de nuit. Allons! marchons. – Honnête Roderigo, je vous récompenserai de votre peine.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Une autre rue.

Les mêmes. Entrent OTHELLO, JAGO et des SERVITEURS.

JAGO. – Quoique dans le métier de la guerre j’aie tué des hommes, cependant je tiens qu’il est de l’essence de la conscience de ne pas commettre un meurtre prémédité: je manque quelquefois de méchanceté quand j’en aurais besoin. Neuf ou dix fois j’ai été tenté de le piquer sous les côtes.

OTHELLO. – La chose vaut mieux comme elle est.

JAGO. – Soit. Cependant il a tant bavardé, il a vomi tant de propos révoltants, injurieux à votre honneur, qu’avec le peu de vertu que je possède, j’ai eu bien de la peine à me contenir. Mais, dites-moi, je vous prie, seigneur, êtes-vous solidement marié? Songez-y bien, le magnifique [5] est très-aimé; et sa voix, quand il le veut, a deux fois autant de puissance que celle du duc: il va vous forcer au divorce, ou il fera peser sur vous autant d’embarras et de chagrins que pourra lui en fournir la loi, soutenue de tout son crédit.

OTHELLO. – Qu’il fasse du pis qu’il pourra; les services que j’ai rendus à la Seigneurie parleront plus haut que ses plaintes. On ne sait pas encore, et je le publierai si je vois qu’il y ait de l’honneur à s’en vanter, que je tire la vie et l’être d’ancêtres assis sur un trône, et mes mérites peuvent répondre, la tête haute, à la haute fortune que j’ai conquise. Car sache, Jago, que si je n’aimais la charmante Desdémona, je ne voudrais pas pour tous les trésors de la mer, enfermer ni gêner ma destinée jusqu’ici libre et sans liens. – Mais vois, que sont ces lumières qui viennent là-bas?

(Entrent Cassio à distance et quelques officiers avec des flambeaux.)

JAGO. – C’est le père irrité avec ses amis. Vous feriez mieux de rentrer.

OTHELLO. – Mais, non: il faut qu’on me trouve. Mon caractère, mon titre, et ma conscience sans reproche me montreront tel que je suis. – Est-ce bien eux?

JAGO. – Par Janus, je pense que non.

OTHELLO. – Les serviteurs du duc et mon lieutenant! – Que la nuit répande ses faveurs sur vous, amis! quelles nouvelles?

CASSIO. – Général, le duc vous salue, et il réclame votre présence dans son palais en hâte, en toute hâte, à l’instant même.

OTHELLO. – Savez-vous pourquoi?

CASSIO. – Quelques nouvelles de Chypre, autant que je puis conjecturer; une affaire de quelque importance. Cette nuit même les galères ont dépêché jusqu’à douze messagers de suite sur les talons l’un de l’autre. Déjà nombre de conseillers sont levés, et rassemblés chez le duc. On vous a demandé plusieurs fois avec empressement; et, voyant qu’on ne vous trouvait point à votre demeure, le sénat a envoyé trois bandes différentes pour vous chercher de tous côtés.

OTHELLO. – Il est bon que ce soit vous qui m’ayez rencontré. Je n’ai qu’un mot à dire, ici dans la maison, et je vais avec vous.

(Othello sort.)

CASSIO. – Enseigne, que fait-il ici?

JAGO. – Sur ma foi, il a abordé cette nuit une prise de grande valeur; si elle est déclarée légitime, il a jeté l’ancre pour toujours.

CASSIO. – Je ne comprends pas.

JAGO. – Il est marié.

CASSIO. – À qui?

JAGO. – Marié à… Allons, général, partons-nous?

(Othello rentre.)

OTHELLO. – Venez, amis.

CASSIO. – Voici une autre troupe qui vous cherche aussi.

(Entrent Brabantio et Roderigo, et des officiers du guet avec des flambeaux et des armes.)

JAGO. – C’est Brabantio! général, faites attention: il vient avec de mauvais desseins.

OTHELLO. – Holà! n’avancez pas plus loin.

RODERIGO. – Seigneur, c’est le More!

BRABANTIO, avec furie. – Tombez sur lui, le brigand!

(Les deux partis mettent l’épée à la main.)

JAGO. – À vous, Roderigo: allons, vous et moi.

OTHELLO. – Rentrez vos brillantes épées, la rosée de la nuit pourrait les ternir. Mon seigneur, vous commanderez mieux ici avec vos années qu’avec vos armes.

BRABANTIO. – Ô toi, infâme ravisseur, où as-tu recélé ma fille? Damné que tu es, tu l’as subornée par tes maléfices; car je m’en rapporte à tous les êtres raisonnables: si elle n’était liée par des chaînes magiques, une fille si jeune, si belle, si heureuse, si ennemie du mariage qu’elle dédaignait les amants riches et élégants de notre nation, eût-elle osé, au risque de la risée publique, quitter la maison paternelle pour fuir dans le sein basané d’un être tel que toi, fait pour effrayer, non pour plaire? Que le monde me juge. Ne tombe-t-il pas sous le sens que tu as ensorcelé sa tendre jeunesse par des drogues ou des minéraux qui affaiblissent l’intelligence? – Je veux que cela soit examiné. La chose est probable; elle est manifeste. Je te saisis donc, et je t’arrête comme trompant le monde, comme exerçant un art proscrit et non autorisé. – Mettez la main sur lui; s’il résiste, emparez-vous de lui au péril de sa vie.

OTHELLO. – Retenez vos mains, vous qui me suivez, et les autres aussi. Si mon devoir était de combattre, je l’aurais su connaître sans que personne m’en fît la leçon. (À Brabantio.) Où voulez-vous que je me rende pour répondre à votre accusation?

BRABANTIO. – En prison, jusqu’à ce que le temps prescrit par la loi, et les formes du tribunal t’appellent pour te défendre.

OTHELLO. – Et, si j’obéis, comment satisferai-je aux ordres du duc dont les messagers sont ici, à côté de moi, réclamant ma présence auprès de lui pour une grande affaire d’État?

UN OFFICIER. – Rien n’est plus vrai, digne seigneur; le duc est au conseil, et, je suis sûr qu’on a envoyé chercher Votre Excellence.

BRABANTIO. – Comment! le duc au conseil? à cette heure de la nuit? Qu’il y soit conduit à l’instant. Ma cause n’est point d’un intérêt frivole. Le duc même, et tous mes frères du sénat ne peuvent s’empêcher de ressentir cet affront comme s’il leur était personnel. Si de tels attentats avaient un libre cours, des esclaves et des païens seraient bientôt nos maîtres.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

(Salle du conseil.)

Le DUC et les SÉNATEURS assis autour d’une table, des OFFICIERS à distance.

LE DUC. – Il n’y a, entre ces avis, point d’accord qui les confirme.

PREMIER SÉNATEUR. – En effet, ils s’accordent peu: mes lettres disent cent sept galères.

LE DUC. – Et les miennes cent quarante.