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San-Antonio

POISON D’AVRIL

ou la vie sexuelle de Lili Pute

Ce n’est pas vrai mais c’est ce que je pense.

Louis Scutenaire

(LA) PREMIÈRE (EST) PARTIE

SA FICHE

Elle était chinoise et s’appelait Li Pût, ce qui dans l’argot pékinois signifie Poison d’Avril. Ses parents l’avaient ainsi baptisée parce qu’elle était née au mois de janvier et que donc, Dû Cû, le papa de Li Pût, avait fécondé sa mère en avril et par inadvertance, un soir qu’il s’était pété à l’alcool de riz à 90°. Le père de Li Pût, Dû Cû, était docker à Pékin. Comment ? Qu’est-ce que tu dis ? Ah ! y a pas la mer à Pékin ? Bon, alors il était tresseur de nattes ; ça te va ? Je continue.

Quand Li Pût naquit, c’était l’année de la Morue. Tout le monde te dira, depuis Saint-André-le-Gaz (38) jusqu’à Nankin, que de naître sous le signe de la Morue, hein ? tu m’as compris ! Et c’est ce qui se passa, dix-sept ans plus tard, montre en main !

Dû Cû, c’était pas le méchant homme, mais, franchement, il se poivrait trop. Noir du soir au matin, ça fait pas sérieux pour un Chinois. Il fut accusé de déviationnisme profanateur par le Comité Central et mis à l’index. Je te dois deux mots d’explications. En Chine, être mis à l’index n’a pas la même signification que chez nous, ni les mêmes conséquences. Ça veut dire qu’ils ont là-bas, dans chaque entreprise, un index en marbre de deux mètres de haut sur quinze centimètres de diamètre, planté au milieu du réfectoire. L’ouvrier sanctionné est déculotté et assis sur la pointe de l’index préalablement enduite d’huile d’olive dans laquelle on a mis à macérer des piments (rouges, de préférence).

Généralement, cette brimade dure une journée que déjà, merci bien, t’es prêt à laisser ta place assise aux vieilles dames enceintes. Manque de pot (c’est le cas d’y dire), le matin du jour où prit effet l’arrêt de Dû Cû, le Gange déborda comme un con et on évacua l’usine qui se trouvait à deux pas de sa rive droite. Quoi ? Parle plus fort ! Le Gange ne passe pas par Pékin ? T’es sûr ? Ben, ils ont dû supprimer la ligne parce qu’à l’époque il y passait bel et bien ; même qu’on s’y est baignés avec Antoine Blondin, alors tu vois ! Et puis m’interromps plus sans arrêt avec tes nani nanères ; tu fais congés payés mal payés, mon pote ! Le genre de glandus qui rouscaillent toujours en vacances sous prétexte que les rillettes du Caire sont plus grasses que celles du Mans.

Pour t’en revenir au père Dû Cû, bon : l’usine évacuée d’urgence because l’inondement. La crue dure huit jours (si tu espères que je vais te caser un « faut laisser les crues se tasser », tu peux te l’arrondir) et quand on revient à l’usine où ce pauvre homme avait tressé tant et tant de nattes (pour les Russes il tressait des nattes à chats), voilà qu’ils le retrouvent avec la première phalange de l’index qui lui sortait par la bouche ! Un hareng à la broche ! Quel triste saur !

Ils ont dit que c’était un accident du travail et bon, dans un sens, hein ? Ça peut se discuter, mais ça frise la chinoiserie, moi je trouve. Mort à ce point, ils avaient pas vu ça depuis la troisième dynastie des Ding.

On l’a conduit en terre sur sa bicyclette noire parce que c’était jour de marché et que le corbillard de Pékin avait été réquisitionné pour charrier les patates douces.

Obsèques très simples. Li Pût n’avait que huit ans, mais ça lui resta gravé dans l’esprit, l’enterrement de son dabe, raide, la tête sur la selle de son vélo, les pieds en flèche sur le guidon dont deux coolies postaux tenaient les manettes de freins, et un troisième, à l’arrière, se cramponnait au porte-bagages dans les descentes.

Caïn-caha le cortège arriva au Stromboli qui faisait relâche. On détache le pauvre Dû Cû de son vélo. Un qui le biche par les nougats, l’autre par les brandillons. A lala une, à lala deux ! Ploum ! Inhumé ! Qu’ensuite sa bécane fut attribuée à Hi Nô, son remplaçant. Textuel. J’invente rien ; je serais infichu, n’ayant pas d’imagination.

Je t’ai-je causé de la mère de Li Pût ? Non, hein ? Bien ce qu’il me semblait. Jusque-là, ç’avait été une épouse effacée (elle travaillait dans une teinturerie, faut dire). Elle se nommait Tieng Bong. Avant la mort prématurée et sans fondement de son époux, l’histoire de sa vie aurait pu s’écrire avec un poil de cul de mouche sur un pétale de myosotis, comme on dit à Leû Va Loi, la banlieue ouest de Pékin. Femme résignée, laborieuse, silencieuse. Jolie, mais ne le sachant pas. Pour elle, la vie était un bol de merde qu’elle bouffait avec des baguettes. Son bonhomme lui flanquait davantage de coups de poing que de coups de bite et elle ne pouvait s’occuper de sa fillette, en vertu de la loi Ksé Kong en date du tac au tac de l’année du Morpion.

Après l’enterrement de son époux, auquel elle n’avait pu assister n’ayant pas fini de déboucher les doublevécés de sa coopérative, une énergie nouvelle secoua l’âme frêle de Tieng Bong, comme la mousson secoue le fraisier sauvage et le vieillard sa queue après une miction périlleuse.

Retrouvant sa chère enfant dans leur appartement d’un quart de pièce avec robinet d’eau courante dans la cour et chiottes à seulement trois rues de là, elle l’avait serrée contre elle farouchement et, dans l’instant, sa décision fut prise : elle allait partir pour Hong Kong avec sa fille.

Elle lui avait mis sur le dos toutes ses hardes, en avait fait autant avec les siennes, et avait déclaré aux voisins qu’elles se rendaient à une séance d’entraînement du Chou Unifié.

Je te raconte tout ça, j’espère que ça te fait pas trop tarter, mais tu vas voir : on débouche sur quelque chose.

Tieng Bong et Li Pût traversèrent Pékin du nord au sud pour aller chercher la route de Canton, laquelle, comme chacun le sait, commence à l’extrémité de la place T’ien Fûm, tout de suite après le bureau d’opium.

En Chine, il faut que tu saches, il est formellement interdit de faire du stop. Toute personne prise à ce petit jeu a aussitôt le pouce tranché. Qu’après quoi on le lui introduit dans le rectum (tu vas dire que je fais un complexe de sodomie !) et on coud cet aimable orifesse avec du nylon extra-fort.

Tu penses bien que la jeune veuve, eh ! doucement les basses ! Pas si conne ! Tenant sa gamine par la menotte, elle parcourut un kilomètre, puis s’allongea sur le bas-côté, le pantalon déchiré jusqu’à la ceinture, de manière à montrer sa cuisse. Tu vois venir ? Il vint ! Un gros camionneur qui ressemblait tant tellement à Mao que c’était p’t’être bien lui après tout.

Coup de frein.

— Ké’s yé â rîvé ? il demande en pékinois.

— E cété va nouï ! répond la môme, chapitrée par sa mother.

Le camionneur déboule de son semi-remorque plein de riz, relève Tieng Bong, l’installe dans sa cabine, la ranime avec du saké ou une connerie du genre. Ils causent. Je te traduis : « Ah ! vous allez à Canton, moi aussi je vais à Canton. Vous voulez qu’on va aller à Canton ensemble ? Vous n’avez qu’à vous cacher dans le riz avec la petite. Pendant la nuit je m’arrêterai et on makera the love together[1]. Vous auriez pas attrapé la blanchisse, des fois ? Vous êtes toute pâle. Une hépatite virale ? Oh ! I see. Bon, prenez votre bain de riz, les filles, et vous, la mère, serrez fort les cuisses pas que je me râpe le pompon plus tard, en vous casant mon bâton de réglisse dans le tiroir, la dernière fois j’ai eu l’impression de baiser avec une râpe à fromage. »

Propos badins, certes, mais créateurs de bonne ambiance.

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En anglais dans le texte.