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Il répond spontanément :

— Nous étions proches de la démobilisation. Une circulaire est passée comme quoi la police municipale parisienne cherchait à recruter des effectifs, de préférence chez les militaires d’élite. Comme nous étions sans projets précis, on s’est dit, avec mes deux copains, qu’après tout, c’était pas plus bête qu’autre chose.

— Militaires d’élite, reprends-je. Tu m’as dit, le jour de notre rencontre, que Santorches avait eu une conduite courageuse au Liban, ou un truc de ce genre, tu te rappelles ?

Il acquiesce.

— C’était quoi, les faits d’armes, Jeannot ?

Il réfléchit peu, s’exclame :

— Oh ! oui…

Ça y est, des giclées de souvenirs lui sortent. Il revit le bigntz de là-bas, le brave agent.

— Ça a concerné Edouard et Octave, déclare-t-il.

— Je t’écoute.

— Un jour, ils ont reçu pour mission de convoyer un personnage important jusqu’à l’ambassade de France. Ils étaient trois, en fait : un dénommé Bobraque servait de chauffeur. Ils sont partis avec une jeep bâchée. C’était un jour ou ça chicornait dur dans Beyrouth. Chemin faisant, ils ont été assaillis par un groupe de Palestiniens. Bobraque a été flingué et eux faits prisonniers avec le type qu’ils escortaient. Je me rappelle plus où on les a embarqués, tous les trois. Dans un P.C. des quartiers tenus par les Syriens, il me semble. Là, on a commencé par leur faire leur fête. Et c’est alors qu’ils ont réussi l’exploit. Edouard Santorches était le plus dur de nous tous. Il conservait toujours un pistolet fixé contre son mollet sous un gros pansement bidon. Profitant d’une accalmie dans son interrogatoire, il a récupéré l’arme et s’en est servi pour allumer leurs tortionnaires. Je dois dire que pour défourailler plus vite qu’Edouard, fallait se lever de bonne heure. On l’appelait Lucky Luke. Octave et lui ont alors sauté par la fenêtre, depuis le premier étage, et ils ont couru jusqu’à la jeep remisée au bas de l’immeuble. Ils ont foncé comme des tordus, sous le feu de leurs poursuivants et sont parvenus à rallier notre quartier général. Ils étaient dans un triste état. On les a fêtés comme des héros !

Je gamberge un brin.

— Après tout, Jeannot, peut-être n’as-tu pas besoin de gilet pare-balles ni d’escorte protectrice. Si cette action a motivé la vengeance qui s’est accomplie à Paris, tu ne crains rien puisque tu n’y participais pas.

Là, il pavoise, mon pote ! Ça ne lui déplaît pas cette perspective d’être à l’abri de ces représailles différées.

— Vous pensez ? rayonne-t-il[5].

— Ben, réfléchis ! Et le type qu’ils convoyaient, qu’est-il devenu ?

— On a retrouvé son cadavre sur le bord de mer, deux jours plus tard, affreusement mutilé.

— Et c’était qui, ce bonhomme ?

— Je l’ignore, monsieur le commissaire.

— Quel genre ? Européen, Arabe ?

— Impossible de vous le préciser, je ne l’ai aperçu que de loin, lorsque mes potes sont partis avec lui. Il était habillé à l’européenne et m’a paru brun, et encore en suis-je bien sûr ?

Il hausse les épaules :

— Ça doit pouvoir être précisé en haut lieu, commissaire. Le colonel Tabite est toujours en exercice. C’est lui qui nous commandait à Beyrouth. Je me suis laissé dire qu’il avait été nommé général l’an dernier et qu’il travaille au grand Etat-Major de l’Armée de Terre.

— Merci pour les tuyaux, Jeannot. Plus j’y pense, plus je suis convaincu que tu n’as rien à craindre. Mais enfin, fais gaffe tout de même.

Je lui prends congé.

Certain d’avoir rassemblé là du « matériel » important pour la découverte de la vérité.

* * *

De retour à la Grande Volière, je cherche après Pierrot Poljak, mais il a vidé les lieux en me laissant une note.

Merci de tout cœur, monsieur le commissaire, c’était fa-bu-leux ! Il m’est venu une idée à propos des premiers agents tués. Je vais dans le quartier Saint-Denis vérifier quelque chose. Ensuite je retournerai tout de même chez moi pour changer de linge. A très vite. Votre fidèle :

Pierre Poljak

Il est pas extraordinaire, ce môme ?

Quelle idée lui est venue, relative aux premiers morts de la série ? J’hésite entre trois sollicitations immédiates. Comme presque toujours, chez moi, c’est celle du cœur qui prévaut.

Voilà pourquoi je passe à la clinique où l’on a transporté Jérémie Blanc.

L’infirmière-cheffe[6] me rassure d’emblée. Il est hors de danger et sortira demain. Elle ajoute, car elle est raciste sur les bords :

— « Ils » ont le crâne solide, ces gens-là.

Je lui réponds qu’oui et qu’en outre, « ils » ont des biroutes grosses comme mon avant-bras, vous voyez, madame ? Et que si elle s’en dégustait une dans la moniche, elle se ferait naturaliser nègre toutes affaires cessantes !

Ayant craché ma gourmette, comme dit ce pauvre Bérurier (qu’où peut-il bien être, grand Dieu !) je me rends dans la chambre 16 où gît mon pote. Piaule à quatre lits. Celui de M. Blanc est le dernier, près des chiottes. Les trois autres sont occupés : par un maçon portugais dont la valise en carton déborde de sous son pieu, par un vieillard en train de souscrire aux ultimes formalités de passage pour l’au-delà, et par un demeuré qui chantonne La Marseillaise sur l’air de Nous n’irons plus au bois. Ramadé la douce se tient au chevet de son magistral époux. Sur ses draps blancs, la bouille de Jérémie ressemble à une mygale brésilienne tombée dans une jatte de chantilly. Sa tendre épouse pleure à chaudes lances. Alarmé par un si violent chagrin je me précipite, redoutant que la salope d’infirmière-cheffe ne m’ait induit en erreur.

— Kiatil ? croassé-je-t-il, éploré déjà, tant tellement je suis compatisseur et anxieux de mes aimés.

Jérémie tourne vers moi son beau regard comme deux boules d’escalier juxtaposées.

— Voilà qu’elle me fait chier ; la vie est bête, non ? se lamente le vaillant.

Ramadé se fraie un tunnel à travers le brouillard du chagrin et m’annonce :

— Il m’a trompée ! Il veut me quitter ! Et je n’y peux rien : c’est une blonde !

— J’aime ! explique sobrement Jérémie.

Ce motif primant tous les autres, ne me reste qu’à secouer la tête avec accablement. Il est vain de vouloir extirper le sentiment amoureux d’un cœur pur.

Le silence dramatique qui s’ensuit[7] est troublé par la comptine du demeuré et les râles du vieillard. Le maçon portugais, quant à lui, louche sur l’harmonieuse bouteille de Mateus posée sur sa table de chevet.

Voilà, c’est un moment à la con, qui ne mène nulle part. Juste un interminable instant flottant à la surface de nos destins à tous. Plutôt chiant à vivre. La peine de Ramadé me broie le guignolet. Elle est pathétique, la merveilleuse épouse, dans sa douleur de femme en disgrâce.

— J’aime, répète farouchement Jérémie. Elle s’est donnée à moi avec une simplicité de reine-enfant. C’était superbe comme du Montherlant. Les poils de son délicat pubis ont la couleur de l’or. Sa chatte a une fraîcheur de source et le même menu murmure lorsque je la prends. Je l’ai enfilée pendant trois quarts d’heure sans sortir ! Elle roucoulait ! Te souviens-tu, Ramadé, de cette forêt, au bord de notre fleuve Sénégal où poussent des plantes aux larges feuilles bleues ? Elles entretiennent une fraîcheur végétale incomparable. Des oiseaux s’y rassemblent pour faire entendre leur ramage et c’est le paradis qu’on écoute et qu’on respire. Eh bien, avec Emeraude, c’est ainsi, Ramadé, ma pauvre femme ! Elle gazouille paradis ! Sa chatte fait un clapotis léger comme celui des rames qu’on laisse aller au flanc de la barque. Son odeur est enivrante comme la nuit tombante, quand notre bienheureuse patrie cesse de sentir le roussi et la merde pour nous confier des effluves-cadeau ! Oh ! Ramadé, irréprochable épouse, ne m’en veuille pas si j’ai approché le sublime.

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5

Toujours éviter au max le verbe dire, m’a recommandé mon prof de français. D’où mes « rayonna-t-il, consentit-il, s’emporta-t-il, crut-il bon de préciser, fit-il valoir, ne manqua-t-il pas d’affirmer, tourna-t-il les talons, explosa-t-il, articula-t-il, etc. » C’est beau, la littérature. C’est contournable, c’est jonglable, privilégiable, désarticulable, enculable, etc.

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6

Et alors ? C’est mon problème, non ?

San-A.
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7

Peut s’écrire également « sans suie », quand il est question d’un Noir.