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Dames courtoises et chères à votre amant, vous qui vous contentez d’un seul amour, bien qu’il soit certain que, parmi tant et tant de belles, il y en ait très peu animées de ces sentiments, ne soyez point offensées de l’ardeur que je viens de mettre dans ce que j’ai dit contre Gabrine, et si je consacre encore quelques vers à flétrir la perversité de son âme.

Je l’ai montrée telle qu’elle était. Ainsi qu’il m’a été imposé par qui peut tout sur moi, je ne sais point cacher la vérité, et, en agissant de la sorte, je ne porte nullement atteinte à la gloire de celles dont le cœur est sincère. Celui qui vendit son maître aux Juifs pour trente deniers, n’a point déshonoré Jean ni Pierre, et la renommée d’Hypermnestre n’est pas moins belle parce qu’elle a eu des sœurs si iniques [83].

Pour une que je blâme avec vivacité dans mes chants – ainsi le veut l’ordonnance de mon histoire – je suis prêt à en célébrer cent autres, et à rendre leur mérite plus éclatant que le soleil. Mais revenons au récit que je m’efforce de varier le plus possible, afin de le rendre agréable au plus grand nombre. Je vous disais, à propos du chevalier d’Écosse, qu’il avait entendu de grands cris retentir près de lui.

Il prit, entre deux montagnes, un étroit sentier d’où étaient partis les cris, et, au bout de quelques pas, il arriva au fond d’une vallée fermée, où il vit devant lui un chevalier mort. Je vous dirai qui c’était, mais auparavant, je veux tourner le dos à la France et m’en aller dans le Levant, jusqu’à ce que j’aie trouvé le paladin Astolphe, qui fait route vers le Ponant.

Je l’ai laissé dans la cité cruelle, où, grâce aux sons de son formidable cor, il avait mis en fuite la population barbare, et avait échappé à un grand péril. Il avait fait enfuir du rivage jusqu’à ses compagnons qui s’étaient hâtés de mettre à la voile. Continuant à vous parler de lui, je vous dirai qu’il s’éloigna au plus vite de ce pays et prit la route d’Arménie.

Peu de jours après, il se trouvait en Natolie et suivait le chemin qui conduit à Brousse, d’où, continuant sa route en deçà de la mer, il se rendit en Thrace. Longeant le Danube, il traversa la Hongrie, et, comme si son destrier eût eu des ailes, il franchit, en moins de vingt jours, la Moravie, la Bohême, la Franconie et le Rhin.

À travers la forêt des Ardennes, il gagna Aix-la-Chapelle, arriva en Brabant et enfin en Flandre, où il s’embarqua. La brise qui soufflait vers le Nord, enfla tellement les voiles, que, vers midi, Astolphe aperçut à peu de distance les côtes d’Angleterre, où il ne tarda pas à aborder. Il sauta sur son cheval, et le pressa de telle sorte, qu’il arriva à Londres le même soir.

Là, il apprit que le vieil Othon était depuis plusieurs mois à Paris, et que presque tous ses vassaux avaient suivi ses dignes traces. Il résolut alors d’aller en France, et descendit au port de la Tamise, où il s’embarqua en ordonnant de faire voile pour Calais.

Un léger vent, soufflant du Nord, avait poussé le navire en pleine mer. Peu à peu ce vent s’accroît, puis il devient si violent, que le pilote en a par trop, et est contraint de virer de bord, pour éviter d’être submergé par les vagues. Il s’efforce de tenir le navire en équilibre sur le dos de la plaine liquide, et suit une route opposée à celle qu’il voulait.

Il louvoie à droite, à gauche, de çà, de là, selon le caprice du vent; enfin il prend terre près de Rouen. Aussitôt qu’il a atteint le rivage si désiré, Astolphe fait remettre la selle à Rabican, prend ses armes, ceint son épée, et se met en route, ayant avec lui le cor qui lui sert plus que ne feraient mille guerriers dont il serait entouré.

Après avoir traversé une forêt, il arrive au pied d’une colline, près d’une claire fontaine, à l’heure où le mouton reste enfermé loin du pâturage ou se réfugie sous une grotte profonde. Vaincu par la grande chaleur et par la soif, il retire son casque du front, attache son destrier au plus épais du feuillage, et s’en vient boire aux fraîches ondes.

Il n’y avait pas encore mis les lèvres, qu’un paysan, caché prés de là, s’élance d’un buisson, saisit le destrier, saute sur son dos et s’éloigne avec lui. Astolphe entend le bruit de sa fuite et lève la tête. Voyant le vol audacieux dont il est victime, il laisse la fontaine sans plus songer à boire, et court derrière le ravisseur aussi vite qu’il peut.

Le voleur ne s’éloigne pas à toute bride, ce qui l’aurait promptement fait disparaître. Mais tantôt ralentissant, tantôt pressant sa fuite, il s’en va au galop ou au trot. Astolphe et lui sortent du bois après une longue course, et tous les deux arrivent enfin là où tant de nobles barons, sans être vraiment en prison, étaient plus retenus que s’ils avaient été réellement prisonniers.

Le paysan se réfugie dans le château, avec le destrier qui égale le vent à la course. Force est à Astolphe embarrassé par son écu, son casque et ses armes, de le suivre de loin. Cependant il arrive lui aussi au château, et là, il perd complètement les traces qu’il avait suivies jusque-là. Il ne voit plus ni Rabican, ni le voleur; en vain il tourne les yeux de tous côtés, en vain il presse le pas.

Il presse le pas, et s’en va cherchant en vain par toutes les chambres, dans toutes les galeries et les salles. Il perd sa peine, et ne peut parvenir à savoir où le paysan perfide a caché Rabican, son coursier fidèle, plus que tout autre rapide à la course. Pendant tout ce jour, il cherche vainement, en haut, en bas, au dedans et au dehors.

Ennuyé et las de tant tourner, il songe qu’il pourrait bien être dans un lieu enchanté, et il se souvient du livre que Logistilla lui a donné dans l’Inde pour qu’il puisse déjouer tous les enchantements dans lesquels il tombera. Il a toujours ce livre à son côté; il consulte la table, et voit tout de suite à quelle page est le remède.

Le palais enchanté était décrit tout au long dans le livre. On y trouvait aussi les divers moyens de confondre le magicien et de dénouer les liens dans lesquels il retenait tous ces prisonniers. Sous le seuil de la porte était renfermé un esprit. C’était lui qui causait toutes ces illusions, tous ces prestiges. Il suffisait de lever la pierre de son sépulcre, pour voir le château réduit par lui en fumée.

Désireux de conduire à bonne fin une si glorieuse entreprise, le paladin s’empresse d’essayer si le marbre est trop pesant pour son bras. Mais Atlante qui voit ses mains prêtes à détruire tous ses artifices, et qui est inquiet de ce qui peut arriver, vient l’assaillir par de nouveaux enchantements.

Grâce à ses larves diaboliques, il le fait paraître tout différent de ce qu’il est. Pour les uns c’est un géant, pour les autres un paysan, pour d’autres un chevalier à figure déloyale. Chacun voit le paladin sous la forme où le magicien lui est apparu dans le bois; de sorte que, pour ravoir ce que le magicien leur a enlevé, tous se précipitent sur Astolphe.

Roger, Gradasse, Iroldo, Bradamante, Brandimart, Prasilde, et les autres guerriers, dans leur nouvelle erreur, s’avancent furieux et pleins de rage, pour mettre le duc en pièces. Mais celui-ci, en un pareil moment, a recours à son cor et fait courber soudain tous ces esprits altiers. S’il n’avait pas recouru au son terrifiant, le paladin était tué sans rémission.