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Ils suivirent pendant quelque temps un chemin difficile et rude, à travers un bois, et qui, outre qu’il était étroit et rempli de pierres, montait presque en ligne droite au haut de la colline. Mais, dès qu’ils eurent atteint le faîte, ils débouchèrent dans une prairie spacieuse, où ils aperçurent le plus beau et le plus ravissant palais qui se soit jamais vu au monde.

En dehors des portes extérieures, la belle Alcine s’avança de quelques pas au devant de Roger, et lui fit un accueil seigneurial, entourée de sa brillante cour d’honneur. Tous ses courtisans comblèrent le vaillant guerrier de tant d’hommages et de révérences, qu’ils n’en auraient pu faire plus, si Dieu était descendu parmi eux de sa demeure céleste.

Le palais n’était pas seulement remarquable parce qu’il surpassait tous les autres en richesse, mais parce qu’il renfermait les gens les plus aimables et les plus avenants qui fussent au monde. Ils différaient peu les uns des autres en fleur de jeunesse et de beauté; mais Alcine était plus belle qu’eux tous, de même que le soleil est plus beau que toutes les étoiles.

Elle était si bien faite de sa personne, que les peintres industrieux ne sauraient en imaginer de plus parfaite. Sa longue chevelure retombait en boucles, et il n’est pas d’or plus resplendissant et plus chatoyant. Sur sa joue délicate étaient semés les roses et les lys; son front, d’un pur ivoire, terminait un visage admirablement proportionné.

Sous deux sourcils noirs et d’un dessin plein de finesse, sont deux yeux noirs, ou plutôt deux clairs soleils, aux regards tendres, et lents à se mouvoir. Il semble qu’Amour, qui voltige se joue tout autour, vient y remplir son carquois de flèches dont il transperce les cœurs. De là, descend sur le milieu du visage un nez où l’envie ne trouverait rien à critiquer.

Au-dessous, comme entre deux sillons, se dessine une bouche où est répandu un cinabre naturel. Là, sont deux rangées de perles sur lesquelles se ferme et s’ouvre une lèvre belle et douce. C’est de là que sortent les paroles courtoises, capables d’amollir le cœur le plus rude et le plus rebelle. La, se forme ce rire suave qui ouvre à son gré le paradis sur terre.

Blanc comme neige est son beau col, et sa gorge blanche comme lait. Le col est arrondi et la gorge est relevée. Deux seins drus, comme s’ils étaient d’ivoire, vont et viennent, ainsi que l’onde sur le rivage, quand une fraîche brise soulève la mer. Argus lui-même ne pourrait voir le reste; mais on peut juger que ce qui est caché sous le voile correspond à ce qui apparaît au dehors.

Les deux bras montrent un modelé parfait; sa main blanche, un peu longue et effilée, ne laisse voir ni jointure ni veine saillante. Enfin, le pied de la ravissante créature apparaît petit, mince et potelé. Son angélique beauté, qui a pris naissance dans le ciel, ne se peut cacher sous aucun voile.

Sur toute sa personne un charme est répandu, qu’elle parle, qu’elle rie, qu’elle chante ou qu’elle marche. Il n’est pas étonnant que Roger en soit épris, tant il la trouve séduisante. Ce qu’il avait entendu dire d’elle par le myrte, au sujet de sa perfidie et de sa méchanceté, ne lui sert plus à rien, car il ne peut s’imaginer que la fourberie et la trahison puissent se cacher sous un si suave sourire.

Il aime mieux croire que si elle a métamorphosé Astolphe sur le rivage, c’est pour son ingratitude et sa conduite coupable, et qu’il mérite une semblable peine et plus encore. Il tient pour faux tout ce qu’il a entendu dire sur son compte, et il pense que la vengeance et l’envie ont poussé ce malheureux à médire d’elle, et qu’il a complètement menti.

La belle dame qu’il aimait tant est maintenant loin de son cœur; car, par ses enchantements, Alcine l’a guéri de toutes ses anciennes blessures amoureuses, et d’elle seule, de son amour, elle le rend soucieux. Son image seule reste désormais gravée dans le cœur du bon Roger, et c’est là ce qui doit le faire excuser de son inconstance et de sa légèreté.

Les cithares, les harpes et les lyres faisaient, autour de la table du festin, résonner l’air d’une douce harmonie et de concerts mélodieux. Plus d’un convive savait, par ses chants, dépeindre les joies et les transports de l’amour, ou, par de poétiques fictions, représenter d’attachantes fantaisies.

La table magnifique et somptueuse de n’importe lequel des successeurs de Ninus, ou celle non moins célèbre et fameuse que Cléopâtre offrit au Romain vainqueur [47], pourrait-elle aller de pair avec celle devant laquelle l’amoureuse fée avait fait asseoir le paladin? Je ne crois pas qu’on puisse même lui comparer la table où Ganymède sert Jupiter souverain.

Dès que les tables et les victuailles eurent été enlevées, les convives s’asseyant en cercle, se livrèrent à ce doux jeu où, la bouche près de l’oreille, on se demande à l’un l’autre, et selon sa fantaisie, quelque secret amoureux. C’est celui que les amants trouvent si commode pour se découvrir sans empêchement leur amour. Alcine et Roger finirent par convenir de se retrouver ensemble la nuit prochaine.

Ce jeu cessa vite, et beaucoup plus tôt qu’on n’en avait l’habitude en pareil cas, les pages entrèrent, armés de torches, et chassèrent les ténèbres avec de nombreuses lumières. Entouré d’une belle compagnie qui le précédait et le suivait, Roger alla retrouver son doux lit de plume, dans une chambre élégante et fraîche, choisie comme la meilleure de toutes.

Puis, quand on eut servi de nouveau les bons vins et les confetti, les autres se retirèrent en lui faisant la révérence, et regagnèrent tous leurs chambres. Roger s’introduit alors dans des draps de lin parfumés, qui paraissaient sortis de la main d’Arachnée. Cependant il écoute d’une oreille attentive s’il entend venir la belle dame.

Au plus petit bruit qui le frappe, espérant que c’est elle, il lève la tête. Il croit l’entendre, et voyant qu’il se trompe, il soupire de son erreur. Parfois il sort du lit, entr’ouvre la porte et guette au dehors; mais il ne voit rien, et maudit mille fois l’heure si lente à s’écouler.

Il se dit souvent: «Maintenant elle part.» Et il commence à compter les pas qu’Alcine peut avoir à faire de sa chambre à celle où il l’attend. Ces préoccupations vaines, et bien d’autres, le tiennent en souci, jusqu’à ce que la belle dame soit arrivée. Parfois il craint que quelque obstacle ne vienne s’interposer entre le fruit et la main prête à le cueillir.

Alcine, après s’être longuement parfumée d’odeurs précieuses, voyant que le moment est venu de partir, et que dans le palais tout est tranquille, sort de sa chambre et, seule et silencieuse, s’en va, par un passage secret, rejoindre Roger dont le cœur est violemment combattu par la crainte et l’espoir.

À peine le successeur d’Astolphe a-t-il vu apparaître cette riante étoile, qu’il ne lui semble plus possible de supporter le souffle brûlant qui coule dans ses veines. Il plonge les yeux dans ce flot de délices et de beauté; il s’élance du lit, saisit Alcine dans ses bras, et ne peut attendre qu’elle se soit dépouillée de ses vêtements,

Bien qu’elle n’ait ni robe ni panier, et qu’elle soit venue à peine couverte d’un léger manteau jeté sur une chemise blanche et fine au possible. Comme Roger la tient embrassée, le manteau tombe, et elle reste avec le voile subtil et transparent qui, devant et derrière, laisse apercevoir les roses et les lis mieux qu’un pur cristal.