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» Mais tout fut vain. J’étais décidée à mourir plutôt que de le satisfaire. Après qu’il eut compris que les prières, les promesses ou les menaces ne lui servaient à rien, il voulut user de violence. En vain, je le suppliai, en vain je lui parlai de la confiance que Zerbin avait mise en lui, et que j’avais eue moi-même en me remettant entre ses mains.

» Voyant que mes prières ne le touchaient pas, que je n’avais à espérer aucun secours, et qu’il me pressait de plus en plus, ressemblant dans sa brutale concupiscence à un ours affamé, je me défendis avec les pieds, avec les mains, avec les ongles, avec les dents, je lui arrachai le poil du menton et lui déchirai la peau, tout en poussant des cris qui montaient jusqu’aux étoiles.

» Je ne sais si ce fut l’effet du hasard, ou de mes cris qui devaient s’entendre à une lieue, ou bien encore la coutume qu’ont les habitants de ce pays d’accourir sur le rivage quand un navire s’y brise et s’y perd, mais je vis soudain apparaître au sommet de la montagne une troupe de gens qui se dirigea vers nous. Dès que le Biscayen la vit venir, il abandonna son entreprise et prit la fuite.

» Seigneur, cette foule me sauva de ce traître, mais, pour employer l’image souvent dite en proverbe, elle me fit tomber de la poêle dans la braise. Il est vrai que ces gens ne se sont pas encore montrés assez sauvages et cruels envers moi pour m’avoir fait violence; mais ce n’est point par vertu, ni par bonne intention;

» Car s’ils me conservent vierge, comme je suis, c’est qu’ils espèrent me vendre plus cher. Voici bientôt huit mois accomplis, et le neuvième va commencer, que mon corps a été enseveli ici tout vivant. J’ai perdu tout espoir de revoir mon Zerbin, car, d’après ce que j’ai déjà pu entendre dire par mes ravisseurs, ils ont promis de me vendre à un marchand qui doit me conduire au Soudan d’Orient.»

Ainsi parlait la gente damoiselle, et souvent les sanglots et les soupirs interrompaient sa voix angélique, de façon à émouvoir de pitié les serpents et les tigres. Pendant qu’elle renouvelait ainsi sa douleur, ou calmait peut-être ses tourments, une vingtaine d’hommes armés d’épieux et de haches entrèrent dans la caverne.

Celui qui paraissait le premier entre eux, homme au visage farouche, n’avait qu’un œil dont s’échappait un regard louche et sombre. L’autre œil lui avait été crevé d’un coup qui lui avait coupé le nez et la mâchoire. En voyant le chevalier assis dans la grotte à côté de la belle jeune fille, il se tourna vers ses compagnons et dit: «Voici un nouvel oiseau, auquel je n’ai pas tendu de filet et que j’y trouve tout pris.»

Puis il dit au comte: «Jamais je n’ai vu d’homme plus complaisant et plus opportun que toi. Je ne sais si tu as deviné ou si tu as entendu dire à quelqu’un que je désirais beaucoup posséder de si belles armes, des vêtements bruns aussi agréables. Tu es vraiment venu à propos pour satisfaire mes besoins.»

Roland, remis sur pied, sourit d’un air railleur et répondit au brigand: «Je te vendrai les armes à un prix qui ne trouve pas communément de marchand.» Et tirant du foyer, qui était près de lui, un tison enflammé et tout fumant, il en frappa le malandrin à l’endroit où les sourcils touchent au nez.

Le tison atteignit les deux paupières et causa un tel dommage à celle de gauche, qu’il creva au misérable le seul œil avec lequel il pouvait voir encore la lumière. Le coup prodigieux ne se contenta pas de l’aveugler; il l’envoya rejoindre les esprits que Chiron, avec ses compagnons, garde dans des marais de poix bouillante.

Il y avait dans la caverne une grande table, épaisse de deux palmes et de forme carrée. Posée sur un pied grossier et mal poli, elle servait au voleur et à toute sa bande. Avec la même agilité que l’on voit l’adroit Espagnol [66] jeter et rattraper son fusil, Roland lance la table pesante à l’endroit où se tenait groupée toute cette canaille.

Il rompt à l’un la poitrine, à l’autre le ventre, à celui-ci la tête, à celui-là les jambes, à un autre les bras. Les uns sont tués du coup, les autres sont horriblement blessés. Les moins grièvement atteints s’empressent de fuir. Ainsi, parfois, un gros rocher, tombant sur un tas de couleuvres, qui, après l’hiver, se chauffent et se lissent au soleil, leur écrase les flancs et les reins, et leur broie la tête.

Divers cas se produisent, et je ne saurais dire combien: une est tuée, une s’échappe sans queue, une autre ne peut se mouvoir par devant et sa partie postérieure en vain s’agite et se dénoue. Une autre, plus favorisée, rampe en sifflant parmi les herbes et s’en va en serpentant. Le coup de la table fut terrible; mais il ne faut pas s’en étonner, puisqu’il fut porté par le valeureux Roland.

Ceux que la table avait peu ou point blessés – et Turpin écrit qu’ils ne furent que sept – cherchèrent leur salut dans la rapidité de leurs pieds. Mais le paladin se mit en travers de l’issue, et après les avoir pris sans qu’ils se fussent défendus, il leur lia étroitement les mains avec une corde, qu’il trouva dans la demeure sauvage.

Puis il les traîna hors de la caverne dans un endroit où un vieux sorbier projetait sa grande ombre. Roland, après en avoir façonné les branches à coups d’épée, y attacha les prisonniers pour servir de nourriture aux corbeaux. Et il n’eut pas besoin de leur passer une corde au cou. Pour purger le monde de cette engeance, l’arbre lui-même lui fournit des crocs auxquels Roland les attacha par le menton.

À peine la vieille femme amie des malandrins les eut-elle vus tous morts, qu’elle s’enfuit en pleurant, les mains dans ses cheveux, à travers les forêts et les labyrinthes des bois. Après avoir suivi des chemins rudes et mauvais, rendus encore plus difficiles par la terreur qu’elle éprouvait, elle rencontra un chevalier sur la rive d’un fleuve. Mais je remets à plus tard à vous raconter qui c’était,

Et je retourne à la jeune fille qui supplie le paladin de ne pas la laisser seule, et lui demande à le suivre en tous lieux. Roland la rassure d’un air courtois. Puis, dès que la blanche Aurore, parée de sa guirlande de roses et de son voile de pourpre, eut repris son chemin accoutumé, le paladin partit avec Isabelle.

Sans trouver aucune aventure digne d’être contée, ils marchèrent plusieurs jours ensemble. Enfin ils rencontrèrent sur leur chemin un chevalier qu’on emmenait prisonnier. Je vous dirai par la suite qui il était, car, pour le moment, je suis détourné de ma route par quelqu’un dont il ne vous sera pas moins cher d’entendre parler; j’entends la fille d’Aymon, que j’ai laissée tantôt languissante d’amoureux chagrins.

La belle dame, attendant en vain le retour de Roger, était à Marseille, où elle harcelait presque chaque jour les bandes païennes qui parcouraient, en pillant monts et plaines, le Languedoc et la Provence. Elle s’y conduisait en chef habile et en vaillant guerrier.

Elle attendait là, et l’époque marquée pour le retour de Roger étant dépassée de beaucoup, elle vivait, ne le voyant pas revenir, dans la crainte de mille accidents. Un jour qu’elle pleurait seule à l’écart en songeant à cela, elle vit arriver celle qui avait jadis, au moyen de l’anneau, guéri le cœur de Roger des enchantements d’Alcine.

Comme elle la voit après une si longue absence revenir sans son amant, Bradamante devient pâle comme la mort, et tremble tellement qu’elle ne peut se tenir debout. Mais la bonne magicienne vient à elle en souriant, dès qu’elle s’est aperçue de sa crainte, et la rassure avec l’air joyeux que prend d’habitude celui qui apporte une bonne nouvelle.