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Il arrive à l’endroit où il voit les Écossais revenir en fuyant; il leur crie: «Où allez-vous? Êtes-vous donc assez lâches pour laisser le champ de bataille à une si vile canaille? Où sont les dépouilles dont je croyais que vous deviez orner vos églises? Quelle gloire, quels éloges pensez-vous mériter en abandonnant le fils de votre roi seul et à pied?»

Il prend des mains de son écuyer une énorme lance, et voyant non loin de là Prusion, roi d’Alfarache, il fond sur lui, lui fait vider les arçons et le jette mort sur la plaine. Il couche à terre Agricalte et Bambirague; puis il blesse grièvement Soridan; et il l’aurait occis comme les autres, si sa lance avait été plus forte.

Il saisit Flamberge, sa lance s’étant rompue. Il en frappe Serpentin, le chevalier aux étoiles, dont les armes étaient enchantées; néanmoins le coup l’envoie évanoui hors de selle. C’est ainsi que Renaud fait une place belle et spacieuse autour du prince d’Écosse, ce qui permet à ce dernier de saisir au passage un destrier dont la selle est vide, et d’y monter.

Il était temps, et s’il avait un peu plus tardé, il n’aurait probablement pas pu le faire, car Agramant, Dardinel, Sobrin et le roi Balastro arrivaient tous à la fois. Mais Zerbin, qui a pu se mettre auparavant en selle, fait tournoyer son glaive, envoyant tantôt celui-ci, tantôt celui-là porter en enfer des nouvelles des vivants.

Le brave Renaud, qui s’attaquait toujours de préférence aux plus redoutables, dirige son épée contre le roi Agramant, qui lui paraît beaucoup trop vaillant et hardi – il faisait, en effet, plus de besogne à lui seul que mille autres guerriers – et se précipite sur lui avec Bayard. Il le frappe et le heurte tout à la fois en plein flanc, et le renverse ainsi que son destrier.

Pendant qu’en dehors des murs, la haine, la rage, la fureur poussent les deux armées à s’exterminer dans une si cruelle bataille, Rodomont, dans Paris, égorge la population et brûle les palais et les temples sacrés. Charles, qui combat sur un autre point, ne voit rien de cela et n’en entend point parler. Il est occupé à recevoir dans la ville Odoard et Ariman avec leurs troupes de Bretagne.

Lorsque arrive près de lui un écuyer, la pâleur au visage, et qui peut à peine tirer un souffle de sa poitrine: «Hélas! seigneur, hélas! – répète-t-il plusieurs fois, avant de pouvoir dire autre chose, – aujourd’hui l’empire romain descend dans la tombe; le Christ a abandonné aujourd’hui son peuple; un démon est tombé du ciel pour rendre cette cité à jamais inhabitable.

» Satan, – ce ne peut être un autre que lui, – ruine et détruit la malheureuse cité. Tourne-toi et regarde les tourbillons de fumée produits par la flamme dévastatrice. Écoute la plainte qui retentit jusqu’au ciel et vient confirmer ce que te dit ton serviteur. C’est un seul homme qui, par le fer et le feu, saccage ta belle ville; et devant lui chacun prend la fuite.»

Comme celui qui commence par entendre le tumulte et le battement répété du tocsin, puis aperçoit près de lui, et le touchant presque, l’incendie que chacun connaissait déjà, tel est le roi Charles en apprenant cette nouvelle calamité, et en en recevant de ses propres yeux la confirmation. Il dirige sur-le-champ le gros de ses meilleures troupes vers l’endroit où il entend les cris et la grande rumeur.

Charles appelle à lui le plus qu’il peut de ses paladins et de ses meilleurs guerriers, et fait porter sa bannière vers la place où le païen s’est retiré. Il entend la clameur; il voit les horribles traces de sa cruauté; il voit des membres humains épars de tous côtés. Mais en voilà assez pour le moment; que celui qui volontiers écoute cette belle histoire revienne une autre fois.

Chant XVII

ARGUMENT. – Charles exhorte ses paladins, et attaque avec eux les ennemis. – Griffon, Origile et Martan arrivent à Damas, à la fête donnée par Norandin. Griffon est vainqueur du tournoi; Martan y montre une grande couardise, mais il usurpe l’honneur de la victoire, tandis que Griffon ne reçoit que honte et outrages.

Quand nos péchés ont dépassé la mesure du pardon, Dieu, pour prouver que sa justice égale sa miséricorde, confie souvent le pouvoir souverain à des tyrans atroces, à des monstres. Il leur donne la force et le génie du mal. C’est pour cela qu’il mit au monde Marius, Sylla, les deux Néron, Caïus Caligula le Furieux;

Domitien et le dernier Antonin; qu’il tira Maximin de la plèbe immonde et basse, et l’éleva à l’empire; qu’il fit naître à Thèbes Créonte, et donna au peuple d’Agylla Mézence, qui engraissa les sillons de sang humain; c’est pour cela que, dans des temps moins reculés, il permit que l’Italie devînt la proie des Huns, des Lombards et des Goths.

Que dirai-je d’Attila? que dirai-je de l’inique Ezzelin da Romano, et de cent autres que Dieu, après de longs siècles de crimes, envoya pour nous punir et nous opprimer? Et ce n’est pas seulement dans les temps antiques que nous avons de tels exemples; nous en faisons de nos jours une claire expérience, nous qui, troupeaux inutiles et coupables dès le berceau, avons été donnés en garde aux loups enragés.

Comme si leur faim était trop vite apaisée, et que leur ventre ne pût contenir tant de chair, ceux-ci ont appelé des bois ultramontains d’autres loups plus affamés [75], pour achever de nous dévorer. Les ossements sans sépulture de Trasimène, de Cannes, de Trebia, paraissent peu de chose auprès de ceux qui engraissent les rives et les champs de l’Adda, de la Mella, du Ronco et du Taro.

Dieu permet que nous soyons châtiés aujourd’hui par des peuples plus coupables que nous peut-être, de nos méfaits, de nos erreurs, de nos vices multipliés à l’infini. Un temps viendra où nous irons à notre tour ravager leurs territoires, si jamais nous devenons meilleurs, et si leurs crimes en arrivent à exciter l’indignation de l’éternelle Bonté.

Elles devaient sans doute avoir troublé la sérénité de Dieu, ces contrées que les Turcs et les Maures couvraient alors de viols, de meurtres, de rapines et de honte. Mais tous ces maux furent encore aggravés par la fureur de Rodomont. J’ai dit que Charles, dès qu’il eut reçu la nouvelle des ravages causés par lui, était accouru pour l’arrêter.

Il voit les malheureux coupés par morceaux joncher les rues; les palais brûlés,les temples ruinés, une grande partie de la ville détruite. Jamais on ne vit de si cruels exemples de désolation: «Où fuyez-vous, foule épouvantée? N’en est-il point parmi vous qui ose contempler sa ruine, et qui ne comprenne qu’il ne vous restera plus de refuge, si vous abandonnez si lâchement cette cité?

» Donc, un homme seul, enfermé dans votre ville dont la ceinture de murailles l’empêche de fuir, pourra se retirer sans la moindre égratignure, après vous avoir tous tués?» Ainsi disait Charles, qui, enflammé de colère, ne pouvait supporter une telle honte. Il arrive enfin devant la grande cour du palais, où il voit le païen massacrer son peuple.

Là s’était retirée une grande partie de la population espérant y trouver du secours, car le palais était entouré de fortes murailles et approvisionné de munitions pour une longue défense. Rodomont, fou d’orgueil et de colère, s’était emparé à lui seul de toute la place. Dans son mépris de tels adversaires, il fait d’une main tournoyer son épée, et de l’autre, il lance la flamme.

Il frappe les portes élevées et superbes de la royale demeure, et les fait résonner sous ses coups. La foule qui s’y est réfugiée et se croit déjà morte, fait pleuvoir sur lui du haut des remparts les créneaux et les pans de murs. Personne ne regarde à détruire ce beau palais, et les morceaux de bois, les pierres, les tables en marbre, les colonnes et les poutres dorées, qui ont coûté si cher à leurs pères et à leurs ancêtres, tombent tous à la fois.