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«Par grâce, – dit-il – qu’un de vous me montre, quand il aura occis l’autre, ce qui lui en reviendra. Quel prix aurez-vous de vos fatigues, lorsqu’entre vous sera terminée la bataille, alors que le comte Roland, sans joute et sans combat, et sans avoir une maille de son armure rompue, mène vers Paris la donzelle qui vous a poussés à cette lutte insensée?

» À un mille d’ici, j’ai rencontré Roland qui s’en va avec Angélique à Paris, tous les deux riant de vous, et trouvant plaisant que vous vous battiez sans profit aucun. Vous feriez mieux peut-être, pendant qu’ils ne sont pas encore plus loin, de suivre leurs traces. Car si Roland peut la tenir dans Paris, il ne vous la laissera jamais plus revoir.»

Vous auriez vu les chevaliers se troubler à cette nouvelle. Tristes et découragés, sans regard et sans pensée, ils apprennent que leur rival les a raillés de la sorte. Soudain, le bon Renaud se dirige vers son cheval avec des soupirs qui paraissent sortir du feu, et, soit fureur, soit indignation, il jure, s’il joint Roland, de lui arracher le cœur.

Et comme son Bayard passe à l’endroit où il attend, il se lance dessus et part au galop, sans plus dire adieu au chevalier qu’il laisse à pied dans le bois, et sans l’inviter à monter en croupe. Excité par son maître, le fougueux cheval heurte et fracasse tout ce qui lui fait obstacle: fossés, fleuves, rochers ou broussailles, rien ne peut d’un tel coureur modérer l’allure.

Seigneur, je ne veux pas qu’il vous paraisse étrange si Renaud s’est saisi si promptement de son destrier, car déjà depuis plusieurs jours il l’a suivi en vain et n’a pu même lui toucher la bride. Le destrier, qui avait intelligence d’homme, agit ainsi non pour se faire suivre par malice pendant tant de milles, mais pour guider son maître là où était la dame après laquelle il l’entendait soupirer.

Quand elle s’enfuit de la tente, il la vit et la suivit des yeux, le bon destrier qui se trouvait avoir l’arçon vide – le chevalier en étant descendu pour combattre à armes égales avec un baron qui, non moins que lui, était fier sous les armes. – Puis, il suivit de loin ses traces, désireux de la porter aux mains de son maître.

Désireux de la ramener de l’endroit où elle serait, il se montrait par la grande forêt devant son maître, et ne voulait pas le laisser monter en selle, de peur que ce dernier ne l’engageât par un autre chemin. Grâce à lui, Renaud trouva la donzelle une et deux fois, mais sans succès. La première fois, il fut arrêté par Ferragus, puis par le Circassien, comme vous avez entendu.

Maintenant, au démon qui montre à Renaud les fausses apparences de la donzelle, Bayard croit, lui aussi, et se montre ferme et soumis à ses services habituels. Renaud, de colère et d’amour échauffé, le pousse à toute bride, et toujours vers Paris. Et il vole avec un tel désir, que non seulement un destrier, mais le vent lui paraîtrait lent.

C’est à peine s’il s’arrête la nuit dans sa poursuite, tant il brûle d’affronter le seigneur d’Anglante, et tant il a cru aux paroles vaines du messager du rusé nécromancien. Il ne cesse de chevaucher du matin au soir, qu’il n’ait vu apparaître la ville où le roi Charles, vaincu et fort maltraité, s’était réfugié avec les restes de son armée.

Et parce que du roi d’Afrique il y attend bataille et assaut, il a grand souci de rassembler des gens braves et des approvisionnements, de creuser les fossés et de réparer les murailles. Tout ce qu’il pense pouvoir servir à la défense, sans le moindre retard il se le procure. Il songe à envoyer un message en Angleterre et à en tirer des troupes avec lesquelles il puisse former un nouveau camp.

Car il veut sortir de nouveau pour tenir la campagne et tenter encore le sort des armes. Il dépêche en toute hâte Renaud en Bretagne, en Bretagne qui fut depuis appelée Angleterre. Le paladin se plaint fort de cette mission, non qu’il ait ce pays en haine, mais parce que Charles veut qu’il parte sur l’heure et ne lui laisse pas un jour de répit.

Renaud ne fit jamais chose aussi peu volontiers, car cela le détournait de rechercher le visage serein qui, du fond de la poitrine, lui avait enlevé le cœur. Mais néanmoins, pour obéir à Charles, il se mit sur-le-champ en chemin et, en peu d’heures, il se trouva à Calais. À peine arrivé, il s’embarqua le même jour.

Contre l’avis de tout pilote, à cause du grand désir qu’il avait de presser son retour, il prit la mer qui était troublée et furieuse et semblait menacer d’une grande tempête. Le vent s’indigne de se voir méprisé de ce hautain; par une épouvantable tempête, il soulève la mer avec une telle rage autour du navire, qu’il l’envoie baigner la pointe des huniers.

Les marins expérimentés carguent aussitôt les grandes voiles, et pensent à virer de bord et à retourner dans le port d’où, par une mauvaise inspiration, ils ont fait sortir le navire. «Il ne me convient pas – dit le vent – de permettre une telle licence, car vous vous l’êtes vous-mêmes enlevée.» Et il souffle, et il crie, et il les menace de naufrage, s’ils vont ailleurs que là où il les chasse.

Tantôt à bâbord, tantôt à tribord, ils ont le cruel qui jamais ne cesse et revient toujours plus violent. De çà, de là, avec les petites voiles, ils vont tournant et parcourant la haute mer. Mais parce que j’ai besoin de fils variés pour les diverses voiles que je prétends ourdir, je laisse Renaud et sa nef agitée, et je reviens à parler de sa sœur Bradamante.

Je parle de cette remarquable damoiselle par qui le roi Sacripant fut jeté à terre et qui, digne sœur de ce seigneur, naquit du duc Aymon et de Béatrice. Sa grande valeur, son ardeur entraînante, dont elle fit voir plus d’une preuve solide, ne plaisaient pas moins à Charles et à toute la France, que la valeur si prisée du bon Renaud.

La dame était aimée par un chevalier qui vint d’Afrique avec le roi Agramant, et que la malheureuse fille d’Agolante [34] avait engendré de la semence de Roger. Et celle-ci, qui n’était issue ni d’un ours ni d’un lion cruel, ne dédaigna point un tel amant. Cependant, hormis une seule fois, la fortune ne leur a point permis de se voir et de se parler.

Bradamante s’en allait à la recherche de son amant, qui portait le même nom que son père, aussi en sûreté sans escorte, que si elle avait eu mille escadrons pour sa garde. Après qu’elle eut fait baiser au roi de Circassie le visage de l’antique mère, elle traversa un bois, et, après le bois, une montagne, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée à une belle fontaine.

La fontaine courait au milieu d’un pré orné d’arbres antiques et de beaux ombrages, et, par un murmure agréable, invitait les passants à boire et à y faire séjour. Un petit coteau cultivé la défend à main gauche de la chaleur du midi. Là, aussitôt qu’elle y eût porté ses beaux yeux, la jeune fille aperçut un chevalier,

Un chevalier qui, à l’ombre d’un bosquet, sur la rive à la fois verte, blanche, rouge et jaune, se tenait pensif, silencieux et solitaire, sur le clair et limpide cristal. Non loin de lui, son écu et son casque étaient suspendus à un hêtre, auquel était attaché son cheval. Il avait les yeux humides et le visage incliné, et paraissait chagrin et las.

Ce désir que tous ont dans le cœur de s’informer des affaires des autres, fit demander à ce chevalier, par la damoiselle, la cause de sa douleur. Il la lui découvrit tout entière, touché par sa courtoisie et sa fière prestance qui, au premier aspect, lui parut être celle d’un chevalier très vaillant.

Et il commença: «Seigneur, je conduisais des piétons et des cavaliers, et j’allais au camp où le roi Charles attend Marsile pour s’opposer à sa descente des montagnes. Et j’avais avec moi une belle jeune fille, pour laquelle mon cœur brûle de fervent amour, lorsque je rencontrai près de Rodonne, un chevalier armé qui montait un grand destrier ailé.