Le paladin Roland se montra à tous les points de vue très content de cet amour; outre que le roi ne laisserait pas impunie la trahison de Birène, il se voyait par cette intervention déchargé d’une grave et ennuyeuse mission, car il n’était pas venu dans ces lieux pour Olympie, mais pour porter secours à sa dame.
Il était maintenant assuré qu’elle n’était pas dans l’île; mais il n’avait pu savoir si elle y était venue, tous les habitants étant morts, et pas un seul n’étant resté d’une si grande population. Le jour suivant, on quitta le port, et ils s’en allèrent tous ensemble sur la flotte. Le paladin les suivit en Irlande, pour continuer sa route vers la France.
Il s’arrêta à peine un jour en Irlande, et les prières ne purent le faire rester davantage. Amour, qui le pousse à la recherche de sa dame, ne lui permet pas de s’arrêter plus longtemps. Il partit après avoir recommandé Olympie au roi. Il n’était pas besoin de rappeler à ce dernier ses promesses, car il fit beaucoup plus qu’il n’avait été convenu.
En peu de jours, il eut rassemblé une armée, et après avoir conclu alliance avec le roi d’Angleterre et le roi d’Écosse, il reprit la Hollande et ne laissa pas château ou ville debout en Frise. Il poussa la Zélande à la révolte et ne termina la guerre qu’après avoir mis à mort Birène, dont la peine fut loin d’égaler le crime.
Obert prit Olympie pour femme, et de simple comtesse en fit une grande reine. Mais retournons au paladin qui déploie ses voiles sur la mer et nuit et jour chemine. Il rejoignit le port d’où il avait tout d’abord pris la mer, et montant tout armé sur Bride-d’Or, il laissa derrière lui les vents et l’onde salée.
Je crois que pendant le reste de l’hiver il fit des choses dignes d’être racontées; mais elles furent alors tenues si secrètes, que ce n’est pas ma faute si je ne puis vous les redire. Roland était en effet plus prompt à accomplir des actions vaillantes qu’à les raconter ensuite; ceux-là seuls de ses hauts faits nous sont connus, qui ont pu avoir des témoins.
Comme il passa le reste de l’hiver sans faire parler de lui, on ne sut rien de bien certain à son égard; mais après que le soleil eut éclairé le signe de l’animal discret qu’emporta Phryxus [64], et que Zéphire, joyeux et suave, eut ramené le doux printemps, les admirables exploits de Roland reparurent avec les fleurs brillantes et la verdure nouvelle.
Du mont à la plaine, de la campagne au rivage de la mer, il va, plein de souci et de douleur. Soudain, à l’entrée d’un bois, un long cri, une plainte aiguë lui frappent les oreilles. Il presse son cheval, saisit son glaive fidèle et se dirige en toute hâte à l’endroit d’où vient le bruit. Mais je remets à une autre fois de vous dire ce qui s’ensuivit, si vous voulez bien m’écouter.
Chant XII
ARGUMENT. – Roland, toujours à la recherche d’Angélique, voit une femme qui lui ressemble dans les bras d’Atlante, lequel, changé en chevalier, paraît l’emporter. En le poursuivant, Roland parvient à un palais enchanté, où arrive également Roger qui court après celui qu’il prend pour le ravisseur de Bradamante. Angélique y arrive, elle aussi, et y trouve Roland, Sacripant, Ferragus, Gradasse et d’autres guerriers. Une querelle s’élève à son sujet entre quelques-uns d’entre eux, ce qui procure à Ferragus l’occasion de s’emparer du casque de Roland. Angélique se dirige vers le Levant et trouve dans un bois un jeune homme mortellement blessé. – Roland va vers Paris et détruit deux troupes de Maures. Plus loin il découvre un repaire de malandrins qui retiennent Isabelle prisonnière.
Lorsque Cérès, ayant quitté la mère des dieux, fut revenue en toute hâte dans la vallée solitaire où le mont Etna pèse sur les épaules d’Encelade foudroyé, elle ne trouva plus sa fille où elle l’avait laissée, loin de tout chemin fréquenté. Après s’être déchiré le visage, le sein, les cheveux, elle saisit deux pins;
Elle les alluma aux feux de Vulcain et voulut qu’ils ne pussent jamais s’éteindre. Les tenant chacun dans une main, elle monta sur son char traîné par deux serpents, et chercha parmi les forêts, les champs, les monts, les plaines et les vallées, franchissant les fleuves, les marais, les torrents. Elle chercha sur terre et sur mer, et après avoir exploré la surface du monde entier, elle descendit dans les profondeurs du Tartare.
Si, comme il en avait le désir, Roland eût possédé le pouvoir de la déesse d’Éleusis, il n’aurait, dans sa recherche d’Angélique, laissé inexploré aucune forêt, aucun champ, aucun étang ou aucun ruisseau. Vallées, montagnes et plaines, la terre et la mer, le ciel et l’abîme de l’éternel oubli, il eût tout vu. Mais n’ayant pas le char et les dragons, il la cherchait du mieux qu’il pouvait.
Il l’a cherchée par toute la France. Maintenant il s’apprête à la chercher à travers l’Allemagne, la nouvelle et la vieille Castille, se proposant ensuite de passer la mer d’Espagne et d’aller en Lybie. Pendant qu’il songe à tout cela, une voix qui semble se plaindre parvient à son oreille. Il pousse en avant, et il voit devant lui un chevalier s’éloigner au trot d’un grand destrier.
Ce chevalier porte dans ses bras et retient par force, sur le devant de sa selle, une damoiselle qui paraît très affligée. Elle pleure et se débat avec l’apparence d’une grande douleur, et appelle à son secours. À peine le valeureux prince d’Anglante a-t-il vu cette jeune beauté, qu’il lui semble reconnaître celle qu’il a cherchée nuit et jour en France et dans les pays voisins.
Je ne dis pas que ce soit elle, mais elle ressemble à la gentille Angélique qu’il aime tant. Roland qui voit emporter sa dame, sa déesse, en proie à une telle douleur et à une telle désolation, est saisi de colère et de fureur. D’une voix terrible, il apostrophe le chevalier. Il l’apostrophe et le menace, et il pousse Bride-d’Or à toute bride.
Le félon ne s’arrête ni ne lui répond. Désireux de conserver sa précieuse proie, il va si rapide à travers les halliers, que le vent ne pourrait l’atteindre. L’un fuit, l’autre le chasse, et l’on entend les forêts profondes retentir de lamentations furieuses. Ils débouchèrent, en courant, dans un grand pré, au milieu duquel s’élevait une vaste et riche demeure.
Ce palais magnifique avait été fort habilement construit en marbres variés. Le chevalier, la donzelle sur son bras, courut droit à la porte d’or qui s’ouvrait au beau milieu. Presque au même instant arriva Bride d’Or, portant Roland menaçant et dédaigneux. Aussitôt qu’il est entré dans le palais, Roland jette les yeux autour de lui, mais il ne voit plus le guerrier ni la donzelle.
Il descend aussitôt de cheval et parcourt, tout fulminant, les moindres recoins de cette belle demeure. Il court deçà, delà, et visite, sans se lasser, chaque chambre, chaque appartement. Après avoir fouillé tout l’étage inférieur, il monte les escaliers et ne perd pas moins son temps et sa peine à chercher en haut, qu’il n’en a perdu à chercher en bas.
Il voit les lits ornés d’or et de soie. Les murs, les parois et les parquets où il pose le pied, disparaissent sous les courtines et les tapis. En haut, en bas, le comte Roland va et vient, sans que ses yeux aient la joie de revoir Angélique, ou le voleur qui a ravi le beau visage aimé.