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— C’était la guerre.

Le trismus dans la mâchoire revenait. Klaus serra les dents. Il ne voulait plus mourir. Même sans Monica. Mais toute la police bolivienne était lancée à ses trousses, sans compter Don Federico.

Brusquement, il se mit à pleurer sur lui-même. Le père Muskie tendit la main et lui tapota l’épaule.

— Mut, mut, Klaus[25], murmura-t-il en allemand.

L’Allemand renifla.

— Bien, fit-il. Je vais essayer de gagner la frontière du Paraguay avec la voiture. Tant pis si je tue d’autres gens en route, ce sera de votre faute.

Le père Muskie hocha douloureusement la tête :

— Ne vous faites pas d’illusions, Klaus, Dieu rendra à César ce qui appartient à César.

Klaus avait déjà tourné les talons. Après avoir arpenté le couloir à grandes enjambées, il ouvrit violemment la porte du cloître et s’arrêta pile sur le seuil. Un groupe de policiers boliviens entourait la voiture de police volée. L’un d’eux l’aperçut et poussa un glapissement !

L’Allemand n’eut pas le temps de se rejeter en arrière. En quelques secondes, il fut submergé par un groupe gesticulant et hurlant qui le bourrait de coups de crosses, de pied, de matraques. Sa lèvre inférieure s’ouvrit en deux sous un coup de matraque. Un coup de crosse dans les reins le fit hurler. Il avait beau se débattre, il était le moins fort. Il arriva à saisir son revolver, mais un des policiers lui tordit le poignet et l’arme tomba par terre.

— Mata lo ! Mata lo ! hurlaient les policiers déchaînés.

Sous un coup plus fort, Klaus Heinkel perdit connaissance.

* * *

Le bureau de Hugo Gomez se déformait comme un mirage. Klaus Heinkel essaya de fixer son regard. Une voix ordonna en espagnol :

— Debout, fils de pute.

Il avait les mains attachées derrière le dos par des menottes, tout son corps était douloureux et il avait perdu une chaussure. Son visage bouffi de coups avec des traînées de sang séché n’était pas ragoûtant.

Il leva les yeux sur le major Hugo Gomez. Décomposé, mais bien ignoble quand même. Près du Bolivien se tenait Don Federico Sturm. Ses yeux bleus étaient encore plus pâles que d’habitude. Il fixait Heinkel avec une expression démente. Quand il vit que l’Allemand avait repris conscience, il dit d’une voix contenue :

— Laissez-moi l’emporter, Hugo.

Le gros Bolivien secoua la tête :

— Impossible, il a tué deux policiers. Il répondra de ces crimes devant la justice bolivienne.

Klaus eut une bouffée de haine :

— Vas-y, fais-moi passer en jugement, dit-il, on va bien s’amuser. J’en ai des choses à raconter.

Hugo Gomez brandit son poing.

— Hors d’ici, moins que rien !

Avec un zèle louable, deux inspecteurs se jetèrent sur Klaus en le bourrant de coups et l’entraînèrent hors de la pièce. Il crachait et hurlait ; aussi, finirent-ils par l’assommer. Dans le bureau, Don Federico semblait frappé de stupeur. Machinalement, il alluma une cigarette.

— Qu’allez-vous en faire ? demanda-t-il.

C’est bien ce que se demandait le Bolivien.

— Je vais voir, fit-il, évasivement.

L’Allemand n’avait plus d’existence légale, ce qui ne simplifiait pas les choses… Don Federico, amèrement, se dit que Klaus Heinkel avait encore une toute petite chance de s’en tirer.

* * *

Lucrezia raccrocha le téléphone et annonça :

— Ça y est, ils l’ont arrêté !

Malko n’en ressentit aucune joie. Il s’était passé trop de choses depuis son arrivée en Bolivie. Trop de gens étaient morts à cause de Klaus Heinkel. Y compris le père de Lucrezia. Sa joie de vivre était factice. Il sentait que ses nerfs étaient à bout, qu’elle pensait jour et nuit à la façon dont elle pourrait se venger de Hugo Gomez. Elle revint s’allonger près de lui et aspira une pincée de pichicata.

— Tu devrais faire comme les chulos de l’Altiplano, dit-elle d’une voix absente. Quand ils ont trop de soucis, ils mâchent du coca…

— Regarde où cela les a menés, répliqua Malko. Ce sont des nains abêtis, incapables de réagir.

Sa tension n’était pas tombée, en dépit de la nouvelle de l’arrestation de Klaus Heinkel. Que l’Allemand soit au pouvoir de Hugo Gomez ne voulait pas dire que tous les problèmes étaient résolus.

Chapitre XXI

Klaus Heinkel se recroquevilla sur la paillasse de sa cellule en entendant la clef tourner dans la serrure. Chaque fois que ses gardiens lui apportaient à manger, ils le battaient. Certains, quand ils n’avaient rien à faire en haut, dans le bureau en face de celui du major Gomez, descendaient et le frappaient à coups de matraque ou de nerf de bœuf. L’Allemand, dont les mains étaient attachées en permanence avec des menottes, ne pouvait pas se défendre.

Même la nuit, il se réveillait, le cœur battant la chamade, couvert de sueur froide, s’imaginant qu’une clef avait tourné dans la serrure…

Cela lui rappelait d’autres caves et d’autres prisonniers dont le regard effrayé se fixait sur lui, trente ans plus tôt. Il avait été aussi un adepte du nerf de bœuf, jadis.

La porte s’ouvrit toute grande et deux policiers entrèrent, un pistolet à la main. Derrière eux, le major Hugo Gomez s’avança majestueusement dans la minuscule cellule.

Klaus chercha à dissimuler sa crainte. Que lui valait ce douteux honneur ? Jamais le major n’était venu le voir pendant les trois jours qu’il venait de passer dans les caves du control politico.

Mais le major ne semblait pas hostile, au contraire. Il donna un ordre aux policiers et l’un d’eux défit les menottes qui entravaient l’Allemand. Celui-ci, quand même inquiet, frotta ses poignets l’un contre l’autre, pour faire revenir la circulation. Les chairs à vif lui faisaient horriblement mal.

— Cela va mieux ? demanda le major Gomez, plein de sollicitude.

Son visage rond et brutal luisait soudain de bonté. Klaus Heinkel se demandait ce que dissimulait ce soudain changement d’attitude. Le major, d’un signe de tête, congédia les deux policiers qui se retirèrent dans le couloir, frustrés.

Klaus commença à se dire que quelque chose de bon allait se passer. Mais il se dit que c’était trop tôt pour reprendre le tutoiement.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-il. Vos hommes me battent tous les jours.

Le major eut un bon sourire.

— Tu ne seras plus battu, Klaus.

Il avait repris le bon vieux tutoiement et l’Allemand s’en sentit ragaillardi.

— Merci, bredouilla-t-il.

— Klaus, fit Gomez, je suis toujours ton ami, en dépit de ce que tu as fait et je vais te le prouver. Normalement, tu devrais passer devant un tribunal bolivien. Et même si on te relâchait, Don Federico te tuerait. Tu es d’accord ?

— Oui, fit Heinkel du bout des lèvres.

— Alors, j’ai décidé de te donner une dernière chance, continua le Bolivien. Mais ce sera vraiment la dernière. Tu vas être expulsé discrètement vers le Paraguay. Une fois à Asunción, tu te débrouilleras comme tu voudras, mais il ne faudra jamais que tu remettes les pieds en Bolivie.

L’Allemand essayait de ne pas hurler de joie. Jadis, il parlait avec mépris du Paraguay, comme d’un pays impossible à vivre. Cela lui semblait maintenant un shangri-la inaccessible, un paradis paré de tous les délices… Il se redressa. Son étoile ne l’avait pas abandonné.

Don Federico ne viendrait pas jusqu’à Asunción pour l’abattre. Ensuite, il passerait en Argentine ou peut-être même plus loin, en Europe. L’Espagne et le Portugal étaient toujours accueillants.

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25

Courage, courage, Klaus.