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— Acré, Béru ! lancé-je… Déhottons, mon pote. On se refringue vite fait et on quitte les ordres, mes lascars ont disparu.

C’est la refringuette bolidienne. Pas une radasse du Sébasto qui puisse nous battre au sprint. En moins de temps qu’il n’en faut à un Président de la République pour se faire réélire, nous voilà loqués. Cette fois on abandonne barbe et soutane.

— Allez, en route !

— Je te demande deux minutes seulement, déclare le Kolossal.

— Non, ça urge.

— Alors, pars tout seul, moi, j’ai un travail impossible à remettre !

Et le voilà qui plonge dans un box repéré à l’avance. C’est là que dort, seul, l’adjupope qui lui administra la dérouillée que l’on sait.

— Tu ne t’imagines tout de même pas que j’allais m’effacer de ce monastère sans payer mes dettes, gars. Ou alors c’est que t’as jamais rien entravé à la spicologie de ton Béru.

Il s’approche du dormeur rouquin ; une paire de ciseaux brille dans ses doigts. Clic-clic, cloc ! C’est fait : le pope n’a plus qu’un feston de barbe semblable à l’ornement d’un dargeot triste. Il se réveille, se redresse. Béru le recouche d’une baffe qui aplatirait une locomotive.

— Si j’aurais ta baguette sous la pogne, je te la ferais manger, affirme-t-il. En attendant, voilà toujours de quoi te calmer les aigreurs !

Il lui passe deux doigts dans les trous de nez et tire un bon coup. Le pope fait gnaf-gnaf et son tarin se décolle du bas. Béru retire sa main et d’un revers déguise le pif en hamburger. Un coup de tranchant sur la glotte, un autre dans son estomac. Terminé ! Le père fouettard a perdu connaissance. Ce Béru, vous parlez d’un ravageur tout de même !

Il se tourne vers moi en frottant contre son futal sa paluche endolorie.

— Maintenant, je suis ton homme, San-A.

Nous quittons précipitamment ce tumultueux dortoir. J’ai repéré les êtres et je me dirige dans ce monastère comme dans le drugstore des Champs-Elysées.

Les lourdes ferment toutes avec des verrous, si bien que s’il est impossible d’y pénétrer sans qu’on ne vous ouvre, il est, par contre, aisé d’en sortir. « En l’eau cul rance » ça nous est d’autant plus fastoche que les verrous sont tirés. Nos voleurs de Victoire et buteurs de flic sont passés par là.

Il faut qu’on leur remette la paluche dessus. Le fait que nous soyons dans une île me rassure un peu. Pour quitter Adamos il faut un bateau. Comme ils ne devaient pas en avoir à leur disposition, ils doivent donc en dérober un, non ? Ça ne vous paraît pas logique, à vous ?

CHAPITRE XIV

DANS LEQUEL ON RACCROCHE LES WAGONS !

Le chemin laborieusement gravi le matin par les ânes, nous le dévalons les coudes au corps. La frugalité, il n’est que ça pour garder les hommes en bonne condition physique.

— Si ma Berthe me verrait cavalquer de la sorte, halète le Véloce, elle me prendrait pour Jazy, tu ne penses pas ?

Comme je le précède à fond de train, je m’abstiens de répondre. Cette nuit grecque est enchanteresse. Les insectes nocturnes crépitent comme un feu de sarments[22]. Le ciel ressemble à du velours sur lequel on aurait épinglé des étoiles d’argent afin de décorer le manteau de la nuit[23].

Bientôt nous avons dégravi le mont Phoscaos (307 mètres 22 sur 140 de large dans le sens de la longueur). Les maisons du port sont lovées autour de la baie (bien qu’il ne soit pas encore l’heure de se lover). La demie de onze heures et demie sonne au clocher, une seule fois, par mesure d’économie et pour ne réveiller personne.

Je stoppe, la poitrine en feu. Un grand écrivain dirait que ma respiration ressemble à un soufflet de forge !

— T’as l’oxygène qui se coince ? suffoque le Gros.

— Tais-toi. Ecoute !

J’écarquille mes plats à barbe et j’écoute de tous mes nerfs auditifs. On entend clapoter la mer et gémir la brise dans la culotte d’une dame en train de sécher (pas la dame, sa culotte) sur un fil d’étendage. Mais mon ouïe exercée perçoit un autre bruit, plus sourd, plus humain. Ça provient du môle nord (c’est donc pas le moment de perdre la boussole).

— Va falloir ramper, Gros ! décidé-je, car j’ai l’impression que mes navigateurs solidaires sont en train de voler un barlu. On va les coiffer à la surprise.

Donnant, comme toujours, l’exemple, je me file à plat bide sur les dalles et je repte comme un lézard (c’est pas le moment de venir le chatouiller) en direction du bruit. Béru m’imite, mais en reptant, lui, comme un boa.

Des petits nuages, filandreux comme du pot-au-feu trop cuit, passent de temps à autre devant la lune (en anglais the moon). A mesure que j’avance, j’entends des chuchotements, des heurts sourds, des grincements métalliques.

Une âcre joie me galvanise. J’approche d’Ubu. Jarry-ve[24].

Une trente-cinquantaine de mètres encore ! Ça y est, je vois les deux gredins.

Ils sont occupés à forcer un cadenas bloquant une chaîne d’amarrage. C’est le moment de leur jouer les Révoltés du Bounty en crochets-vision. J’achève de ramper jusqu’à leur niveau, et brusquement je me lève, feu en main.

— Les mains en l’air ! intimé-je.

Je ne sais pas s’ils ont compris ou bien si c’est d’instinct qu’ils agissent, toujours est-il que ces deux rigolos souscrivent à ma demande.

— Sortez de ce bateau !

L’un d’eux grimpe sur le môle. Je fais signe à son petit camarade de l’imiter. Béru s’annonce (apostolique) et, par prudence, passe derrière les polissons. Je m’adresse alors à celui qui a l’air de piger plus vite que l’autre.

— Tu comprends le français ?

— Oui.

— Tu t’appelles ?

— Olimpiakokatris ; j’ai été ouvreur dans un music-hall parisien.

— Et maintenant te voilà meurtrier dans une île grecque !

Il frémit, ce qui est son droit le plus absolu.

— Et puis, bientôt, tu seras peut-être défunt dans la même île grecque, ajoute Béru qui aime à se manifester dans les instants d’exception.

— C’est pas moi, bredouille Olimpiakokatris. C’est lui !

Toujours la même chose, mes pauvres chéries. Les malfrats, quand ils sont coincés, baissent pavillon, baissent culotte et jettent toute dignité humaine par-dessus les moulins.

— Qu’est-ce que ça change que ça soit toi ou lui ! objecte le Pertinent. Complicité de meurtre, quand c’est un poulardin la victime, ça te donne également droit à un grand bol de bouillon de onze heures, mon pote !

— Pas mal, la planque, admiré-je, qu’est-ce que vous attendiez ici, que l’affaire se tasse comme l’agence russe du même nom ?

— Oui.

Je n’ai jamais vu un zig s’affaler aussi facilement, c’en est écœurant. Il est vachement intimidé par l’œil fixe de mon copain Tu-Tues, Olimpiakokatris !

— Ecoute, Jean Bart, fais-je, on ne va pas passer la noye ici à discuter : nous aussi on a envie de rallier le continent, alors tu vas achever de décadenasser cette barque afin que nous traversions tous les quatre, compris ?

— On n’y arrive pas, soupire-t-il, c’est un cadenas à secret.

— Il ne saurait en avoir pour moi, assuré-je, songeant à mon Sésame.

Je cloque mon arquebuse à Béru et je saute dans la barque. Effectivement, le système de verrouillage est plus ardu que les mots croisés de Max Favalelli. Faut vachement tutoyer la serrure pour lui faire entendre raison ; la prendre par les sentiments, lui faire valoir ses arguments, la câliner, flirter, lui promettre de la présenter à un beau serrurier ténébreux… A la fin, elle dit « yes ». Mais juste à cet instant, Béru lance ce cri waterlien qui prouva qu’un général pouvait avoir le don de la repartie. C’est le compagnon d’Olimpiakokatris qui vient de lui voter avec grâce et célébrité une ruade dans les joyeuses. Le Gros se plie en deux, atteint dans ses forces vives, son honneur et son kangourou à porte-bagages. L’autre lui met alors un coup de genou terrible dans le portrait. Voilà ma grosse truffe qui bascule et disparaît de l’autre côté du môle. J’entends un plouf volumineux et un geyser monte dans le ciel clouté d’étoiles.

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22

Y en a qui aiment. Un auteur de ma trempe doit penser à tous les publics !

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23

A tout lecteur trop émotif, mon éditeur offre un pot de vaseline et une douzaine de mouchoirs.

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24

Note pour mon éditeur :

Ne raye pas ça, Armand, des fois qu’il y aurait des lettrés dans l’assistance !