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Et il brandit son moignon de canne.

— De la fibre de verre, fait-il. C’est pourtant costaud, non ! Ça plie mais ça ne rompt pas.

— Et alors, mon Gros ? T’as touché une baleine ?

— Pire !

— Explique…

— Figure-toi que je pêchais depuis une bonne heure quand soudain je me frotte les quinquets en apercevant une île pas loin de moi. C’t’île, que je te dise, depuis une heure je l’avais remarquée. Je me pense que c’est comme un mirage ou qu’alors j’ai du mou dans le focal. Et puis brèfle, je continue de pêcher. À un moment je lance en bordure de l’île. Et qu’est-ce que je vois ? L’île qu’ouvre un clapoir qu’à côté du sien çui d’un crocodile ça serait la bouche d’une fourmi. Elle me gobe ma cuillère. Et puis elle disparaît en sortant de l’eau une queue verdâtre longue d’au moins douze mètres… La secousse est terrible. Moi, je suis toujours monté gros, c’est de la prudence : on sait jamais sur qui on va tomber, Je tire à mort et c’est ma gaule qui craque ! Voilà ce qui me reste dans les pognes, mon pote ! Faut le voir pour y croire, hein ?

— T’avais emporté une bouteille de whisky ? questionné-je, méfiant.

— Natürlich, avoue le Gros, les matins sont frais, même en cette saison.

Puis s’emportant :

— Non mais qu’est-ce t’imagines ! Que J’étais naze ? Je te jure que non, la preuve, laisse-moi finir. Le monstre, car y a pas de suif, c’est bien le monstre dont à propos duquel on nous a causé. Le monstre, donc, Jaillit d’un coup hors de la flotte en faisant une gerbe grande comme commako. Du coup je prends les copeaux, mets-toi à ma place… Je sors mon feu et je lui file les huit dragées de mon magasin dans le corps. Ce bestiau-là a poussé un cri qu’on aurait dit une colonie de vacances qui basculerait dans un ravin. Et plouff ! Monsieur plonge pour de bon. Ça fait un bouillonnement qu’on aurait dit le Tétanos[15] en train de couler. Et moi je reste là comme un c…

— Comment espérais-tu rester ?

— Hein ?

Il est trop commotionné pour s’insurger.

— Il y a une mare de sang à la surface du lac. Je te parie qu’elle y est encore…

Je réfléchis.

Ou bien le Gros était beurré et il commence à faire du délirium à grand spectacle, ou bien il a eu maille à partir avec un gros poisson dont il gonfle les dimensions, ou bien, et ça me paraît invraisemblable, il existe bien un monstre dans le lac.

— C’est bien la pommade, hein ! dit-il. Non mais tu t’imagines que je sorte ce beefteak ! Tu vois un peu la prise du Bonhomme : un poissecaille de vingt mètres de long, avec du douze centièmes.

Je lui tapote le bras.

— Remets-toi, pépère. Tu pourrais faire frémir tes petits enfants en leur racontant ça !

— Mais j’ai pas d’enfants ! déplore momentanément Béru.

— Tu peux encore en faire puisque tu te spécialises dans les monstres !

Il fait claquer ses doigts.

— À propos de faire des enfants, faut que je te dise…

Inépuisable décidément !

— En revenant de la pêche j’étais tout retourné et pas moyen de me relever le battant : j’avais plus de whisky…

— Alors ?

— Je m’approche d’une petite maisonnette, j’sais pas si tu l’as remarquée, c’est sur la lande qui surplombe le lac.

— En effet, alors ?

— Je frappe, et qui c’est qui m’ouvre ? Gladys de Montrouge, une ancienne tapineuse que j’ai connue aut’fois quand c’est que j’étais aux mœurs. Je la reconnais, elle me reconnaît… Et on reste là, bec ouvert, à se bigler entre les carreaux. Sidérés que nous étions. Je m’ai rappelé alors qu’elle était Écossaise. Elle s’est retirée dans son bled quand elle a eu fait sa gagne et elle s’est épousé l’ancien garde-pêche du château, un dénommé Red O’Paff qu’est mort l’an passé… On a discuté. Gladys s’emm… ici, elle regrette Paname. Le grand air et les roseaux, d’après elle, ça vaut pas les bords de la Marne. À ce que j’ai cru piger, elle sombre dans la picolanche. L’ennui, quoi. Je vois, moi, je resterais longtemps loin de Paris, je crois que je finirais par me mettre aussi à la boisson. Y a des cas dans la vie où qu’on a droit aux circonférences exténuantes, avoue…

Le Graves en a un grand coup dans les galoches. Son regard d’épagneul lui pend sur les joues.

— Alors, fait-il, changeant brusquement de sujet, car c’est le vagabond de la conversation, Béru. Alors, Mec, cet incident ?

— Quel incident ?

— Je veux dire cet incendie ?

— Circonscrit. Je crois que tu as eu une idée…

— Lumineuse ? plaisante-t-il, l’humour ne perdant pas ses droits.

— Oui. Les saletés on les cache toujours avec de la cendre.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Nos bagages.

— On rentre en France ! exulte-t-il.

— Moi oui, mais pas toi…

— Hein !

Son cri a été si violent que le plafond de notre chambre se lézarde. (J’ai omis de vous dire que tout en devisant nous avons regagné l’appartement).

— Rassure-toi, je ne m’en vais qu’un jour ou deux.

— À Paris ?

— Non, à Nice. Toi, pendant ce temps tu resteras planqué dans les parages et tu surveilleras le comportement de tout ce joli monde.

— Planqué où ?

— À l’hôtel de la mère Mac Hantine par exemple.

Il secoue sa tête de cocu satisfait.

— Je préfère aller demander à Gladys si qu’elle aurait pas une piaule pour moi. Je vais te dire, San-A., je cause pas l’anglais, et moi je suis l’homme qu’a besoin de s’esprimer.

— Je crois me souvenir que tu t’exprimais assez bien avec Mme Mac Hantine.

— C’est vrai, se remémore-t-il. Mais ça m’empêchera pas d’aller lui faire un solo de jarretelles si le cœur m’en dira. Dans la vie y a pas que le biberon-valseur, y a aussi les choses de l’esprit, mon pote ! On a beau z’être qu’un gibier de basse-cour, on a besoin de causer à son semblable…

Je fais un arrêt de volée et je bloque net sa philosophie cotonneuse.

— Tu logeras où tu voudras. Mais je veux du boulot sérieux. Je ferai le plus vite possible…

— Me laisser seulâbre dans ce pays où qu’y a que des monstres marins et où ce que les truands habitent des châteaux, c’est pas bien, San-A. Dans une affaire pareille on se quitte pas. C’est pas réglo…

— À propos, tranché-je, j’ai eu le Vieux au téléphone, je lui ai parlé de ton avancement, il s’est montré très favorable.

— Tu le jures ?

— Sur ta tête !

Le voici dopé à bloc. En moins de temps qu’il n’en faut à un téléspectateur pour fermer son poste quand on lui annonce une émission sur le gaz de Lacq, nous avons fait les valoches et pris congé de nos hôtesses. Je prétexte un contrat urgent à propos des droits d’adaptation cinématographique de ma vie de Robespierre que j’ai intitulée « Et mon culte, c’est du poulet  ». Ces dames se font une raison. Dignes, flegmatiques, maîtresses d’elles-mêmes (et de moi en ce qui concerne Cynthia) elles acceptent tous les bobards, encaissent toutes les salades sans rechigner. Des stoïciennes. Des vaillantes de l’acceptation.

Je remercie. Je dis à bientôt, je baise des mains, je pétris des phalanges et je me taille.

En cours de route je largue mon valet de chambre sur le sentier menant à la casba de la mère O’Paff.

— Prudence et observation ! intimé-je. Je ne serai pas long.

Vite décidé, hein ? C’est que, voyez-vous, votre adorable San-A. marche toujours au pifomètre. Quand on est poulardin, il convient de suivre ses impulsions. Elles vous conduisent toujours au bon endroit. Ainsi moi, en sortant de chez sir Concy, je me suis pris par la main pour m’emmener au pied du mur (in english to the foot of the wall). Une fois là, je me suis tenu le langage suivant : « Mon petit San-Antonio, dans cette boîte de cirage, qu’est-ce qui t’abasourdit le plus ? » J’ai étudié le problo et Je me suis répondu par la voie la plus directe : « Le comportement de la vieille Daphné ». La lady impotente qui a soixante-dix piges devenant cheftaine de gang, ça n’existe même pas dans les bouquins de mon vieil ami James Hadley Chase. Et je me suis encore affirmé ceci pendant que j’étais en tête à tête avec moi-même : « Tu es en train de t’empoigner avec des fantômes écossais (ceux qui ont les suaires les plus usagés de l’au-delà) et je te parie une serviette diplomatique contre une serviette de bain que c’est à Nice que se trouve the key of the problem. »

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15

Bérurier veut vraisemblablement parler du « Titanic ».