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Elle est néanmoins souriante.

La radio joue dans sa loge Pas aujourd’hui, une chanson d’amour en trois couplets et un adultère et elle écoute ça avec dévotion, comme s’il s’agissait de Jean-Sébastien Bach.

Je lui produis ma carte pour la mettre en confiance. Je lui vote mon sourire enjôleur numéro 69 (qui correspond avec l’adresse de mon éditeur) et nous nous mettons à bavarder comme une paire de bons petits camarades de régiment.

Après tout, si je portais des moustaches aussi longues que les siennes, je pourrais passer pour un grenadier, moi aussi !

— C’est à quel sujet ? s’informe la digne dame.

— Je voudrais quelques renseignements sur certains de vos locataires, susurré-je.

— Ah ! ne s’étonne-t-elle point. Lesquels ?

— Ceux du troisième, du quatrième et accessoirement du cinquième.

Elle caresse son chat angora blotti entre ses jambes et rêvasse un instant.

— Pourquoi ? n’ose-t-elle questionner, avec une innocence qui collerait des poux de corps à une rosière.

— Parce que ! expliqué-je en détail, en renouvelant mon sourire 69, mais en lui adjoignant un clin d’œil qui figure sur mon catalogue de charmes à la rubrique : « Bonnes d’enfants, concierges et chaisières d’église ».

Elle ne peut pas résister à pareil déploiement de sex-appeal.

— Puisque c’est comme ça et que vous êtes de la police, murmure-t-elle, faut bien que j’y passe.

Une fraction de seconde, je me demande ce qu’elle entend par cette acceptation si lourde de complète résignation.

Mais le pire ne se produit que lorsqu’on ne l’appréhende pas.

— C’est la liste complète que vous voulez ?

— Oui, madame, avec le numéro des dossards et la couleur des maillots, comme pour les coureurs du Tour.

Fin sourire sous l’aimable moustache conciergienne.

La maîtresse de balai se recueille avec une pelle et une balayette.

— Au troisième, annonce-t-elle, j’ai les Durtal et les Vazimout…

— Des précisions sur ces gens, je vous prie…

— Les Durtal, c’est les droguistes de la grande rue. Un couple de vieux… Les Vazimout, lui travaille à la banque des Épargnants épargnés, société anonyme au capital de cent mille nouveaux francs…

« Au-dessus, il y a le commandant Gochedroite, un retraité de l’armée, qui vit seul… Et à côté les Chofroy de Volaye, des gens très comme il faut, qui ont eu un château et qui maintenant ont des malheurs…

— Quel genre ?

— Bien élevés, très propres, la soixantaine…

— Non, les malheurs ?

— Ruinés ! Ils vivent de leurs rentes, mais elles sont petites…

M’estimant suffisamment renseigné, je remercie la pipelette et quitte le cap Cerbère pour les étages.

La rumeur du stade commence de se dissiper. Comprenant que leur après-midi sportif est gâché, les aficionados prennent le parti de rentrer chez eux ou d’aller au cinoche mater les agréments de la vamp du jour…

Je commence par le commencement, en flic organisé que je suis.

Aussi mon first coup de sonnette est-il pour les Durtal.

Un petit viocard à barbichette vient m’ouvrir. Il a des bretelles larges comme ma main, ce qui m’inspire confiance.

— C’est à quel sujet ? s’informe-t-il en français et en relevant ses sourcils.

C’est au sujet d’un mauvais sujet qui est sujet à des crises de flingomanie.

— Police.

Le marchand de couleurs pâlit.

— Ah, oui ?

— Textuel ! affirmé-je en lui montrant mon certificat d’origine.

Il balbutie dans un français très correct :

— Mais je n’ai rien fait.

À l’instar de Knock, je pourrais lui assurer que tout honnête homme est un malfaiteur qui s’ignore. À preuve, c’est que ma carte colle davantage les grelots à un zig qui a un casier judiciaire lessivé par Omo qu’à un malfrat répertorié.

— Aussi est-ce à titre de témoin que je vous consulte…

— Témoin, moi !

— Pourquoi pas… Vous permettez ?

Je passe devant lui. J’atterris dans une salle à manger Henri-Lévitan d’époque où une dame tricote un cache-col avec une machine à calculer auprès d’elle pour compter ses mailles.

Le genre de personne en deuil une fois pour toutes. Au premier zig out dans sa tribu elle s’est filée en noir, et son crêpe, elle le porte à vie.

— Qu’est-ce que c’était, Auguste ? demande-t-elle en tirant sur sa pelote.

— Juste un pauvre petit policier au travail, chère madame, susurré-je.

Elle dit : « Oh, mon Dieu », ce qui part d’un bon naturel, et même d’un bon surnaturel. Elle porte la main à sa poitrine, ce qui indiquerait qu’elle a un cœur et que celui-ci bat plus vite en certaines circonstances…

Mettant fin à leurs émotions, je leur narre le topo. Ils m’écoutent religieusement, ce qui n’a rien de surprenant car ils sont catholiques, apostoliques et romains. Puis la tricoteuse, de fil en aiguille[7], conclut :

— En somme, on l’a tué de notre immeuble, ce pauvre homme ?

— Précisément, madame…

— C’est curieux qu’on n’ait rien entendu, hein ?

— Non, car avec le bruit du stade…

« Ce qui est curieux c’est que vous n’ayez rien vu.

Auguste Durtal passe un pouce plein de fermeté sous sa bretelle pleine d’élasticité. Il me montre la fenêtre de sa main libre.

— Quand il y a un match, déclare-t-il, nous fermons la fenêtre. Nous avons horreur du sport, Adélaïde et moi-même. Parce que, voyez-vous, monsieur… le sport… Eh bien ! le sport, c’est la perdition de la jeunesse…

Bon, je suis tombé sur un vieux crabe. Il n’a rien vu, rien entendu. Comme je ne veux pas jouer le III de Roger-la-Honte, je décide de poursuivre mes investigations.

Seulement il est lancé, l’Auguste. Et comme beaucoup d’Auguste, il se croit obligé de faire le pitre.

— Le sport, ça les abrutit, monsieur… De mon temps…

— De votre temps, conclus-je, on allait au lupanar et on avait des biscotos gonflés au gaz de ville. C’était le bon temps…

Je les plante là. Médusés.

Je sonne à la lourde d’à côté, soit chez les Vazimout. Mais personne ne répond à mon coup de sonnette. M’est avis que l’appartement est vide. En cet après-midi dominical, l’employé de banque est allé mater les singes au zoo ; par vengeance.

Ça lui fait du bien de constater qu’il n’est pas le seul à vivre derrière un grillage.

Je grimpe au quatrième.

La mort est-elle vraiment partie de cet immeuble tranquille ? Des bribes de radio, des morceaux de télé flottent dans la cage d’escalier.

Pourquoi a-t-on tiré sur mon témoin, à l’instant ? Comment se fait-il que l’assassin qui s’est embusqué dans l’immeuble y soit demeuré, son coup exécuté ?

Comme casse-tronche, ça se pose là. Il est tout ce qu’il y a de chinois.

Je me pends à la sonnette du commandant Gochedroite. Il est chez lui, le digne homme. Il chante. Le mot est un peu exagéré ; disons qu’il se manifeste vocalement, et fortement. C’est de l’opéra. C’en était du moins à l’origine. C’en redeviendra lorsque ce sera un vrai ténor qui le bramera.

La voix se tait. Un pas cadencé radine à la lourde.

— Qu’est-ce ? s’informe-t-on.

— Police !

On ouvre. Un homme corpulent, rougeaud, puissant, vêtu d’une chemise kaki et d’un pantalon de toile blanche se tient en face de moi. Sa chemise largement ouverte — plus largement que la porte — me découvre le tatouage décorant sa forte poitrine. Travail d’artiste. Ça représente le débarquement allié sur les côtes de la Manche. Des soldats altiers jaillissent avec leurs chars du ventre béant des navires… Des parachutistes bardés de mitraillettes pleuvent de son thorax. C’est beau, c’est grand, c’est généreux, et puis c’est rétrospectif et en couleurs !

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7

Encore une fois ne jetez pas les jeux de mots faciles. Donnez-les plutôt à des pauvres d’esprit.