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— De l’huile ! dit-il.

— Pardon, baron ?

Il renchérit.

— C’t’une recette que m’a donnée un pote à moi qui fait dans le caoutchouc. Ça l’empêche de se fendre…

— Alors tu as les pieds dans l’huile, en ce moment ?

— Et alors ? fait-il, tous sourcils froncés. Où qu’est le mal ?

J’imagine ses monstrueux nougats baignant dans cette matière visqueuse. Un lent frisson me parcourt, depuis le gros côlon jusqu’au delirium très mince.

Voyant ma stupeur, ne la comprenant pas, la réprouvant, voulant la détruire, il cherche ce que, dans les milieux motorisés, on appelle un argument massue.

Et il le trouve.

— Les sardines sont bien dans l’huile, San-A. ! C’est ce qui les rend bonnes à bouffer !

Je reconnais que ni Archimède, ni Pythagore, ni Einstein, ni Galilée, ni Pascal (Blaise), ni Pierre Bellemare n’auraient trouvé ça.

Anéanti par tant de pertinence, je franchis les ultimes mètres me séparant du stade. Des clameurs s’élèvent du vaste enclos.

— Ça a l’air de carburer ! se réjouit mon petit camarade.

Nous sommes pris dans un flot de vaillants boy-scouts aux jambes sales qui déferlent sur le stade en chantant l’hymne bien connu : Tu repasseras s’il n’y a personne, ô mon pays bien-aimé.

Galvanisé par les « Toujours-Prêts », le Gros se met à marcher au pas. Et c’est de cette allure cadencée, militaire et à l’huile que nous arrivons dans l’enceinte ultra-moderne de Colombes.

Une placeuse se consacre alors à une délicate opération : elle nous place. Moyennant nos deux papiers aussi chiffonnés que le traité de Versailles, nous avons droit à deux places grand luxe, capitonnées au ciment prompt avec vue sur le terrain.

Le match des futurs anciens espoirs s’achève, aux dires de nos voisins de délire.

Le score est de 987 à 2, l’équipe des Gueules noires paraissant dominer celle des Gueules de raie. L’avant-centre du milieu qui joue entre les ailiers marque encore 62 buts pendant les huit dernières minutes et un arbitre offert par Lipp siffle la fin du match avant d’aller siffler un demi-pression au bar.

Le stade est archi-plein. Dans la tribune officielle, l’ambassadeur d’Eczéma, ceint du grand cordon de chanvre de l’ordre de la Conciergerie[1], voisine avec le secrétaire principal du secrétaire adjoint au vice-sous-secrétaire d’État délégué au secrétariat des Sports.

Soudain, ovation : les deux équipes font leur entrée sur le terrain.

L’équipe de France porte le maillot de l’équipe de France et, fait unique dans les annales, celle d’Eczéma porte le maillot de l’équipe d’Eczéma. Pour les non-initiés, je crois bon d’en rappeler les couleurs : culotte rose à bande rose, maillot cerclé rose et rose. Les Eczémateux sont de solides gaillards qui se caractérisent par des vésicules, une sécrétion séreuse et une desquamation, c’est vous dire !

Aussitôt, la Musique des Sourds-Muets de Bagnolet attaque les hymnes nationaux. Honneur aux visiteurs ! On commence par l’hymne eczéma : le Tegratt Passa Sinfecte, dont la traduction française ne nous est pas encore parvenue à l’heure où nous mettons sous presse.

Les hymnes interprétés, Bérurier ôte sa botte gauche. C’est dire que le spectacle commence dans les tribunes ! Lesieur vous l’offre ! Des pieds béruriens à l’huile, ça vaut son pesant de mayonnaise !

Les deux chefs d’équipe : Couchetapiana pour la France et Dupont pour l’Eczéma, échangent des fanions et des poignées de main en attendant d’échanger des coups de pied.

L’arbitre est un Allemand, M. Otto Graff. Il lance la pièce de monnaie, la perd dans l’herbe, en lance une autre (la Fédération est riche) et c’est le capitaine eczémateux qui a le choix. Il prend le côté droit, lequel se trouve à gauche de la tribune d’en face.

La foule est survoltée.

— J’ai idée qu’on va assister à une sacrée rencontre, dit le Gravos en se roulant une cigarette.

« Sur qui que tu paries ?

— Tu parles japonais ? gouaillé-je.

Il n’a pas le temps de répondre par une boutade. Le coup d’envoi est donné. Aussitôt l’équipe de France prend le meilleur, comme disent les comptes rendus sportifs.

Il faut voir cette envolée, les gars !

Chmizblik passe la balle à Kravachetavach, qui la passe à Rigoletto qui dribble Dubois, l’Eczémateux, et descend vers les buts adverses.

— Il va marquer un essai, prophétise Béru.

— Impossible !

— Ah oui ! Et pourquoi, siouplaît, commichose de mes deux saires ?

— Parce que ces gens-là jouent au football et pas au rugby.

Le Gros hausse ses omoplates (pas si plates que ça, d’ailleurs).

— Fotebal ou rugueby, dit-il, quelle différence y a, à part le ballon ?

Mais il se tait. La phase de jeu est décisive. Aujourd’hui, l’équipe de France paraît être en état de grâce. Rigoletto vient de feinter un joueur adverse, et de faire une passe à Yabon Banania, ce dernier place un coup de pied retourné et… sa chaussure mal lacée arrive sur la frime du goal qui part à dame.

L’arbitre siffle. La foule trépigne.

On fait respirer la première page du Figaro au goal. Ça le ranime illico. Il ramasse le ballon et dégage très loin au-delà de ce que Bérurier appelle la « ligne médiocre ».

Cette fois, les Eczémateux réagissent. Superbe combinaison de Martin qui lance à Pêcheur qui passe à Constant qui envoie à Tinople qui dit bonjour à Vazymou (qu’il n’avait pas encore vu de la journée) qui demande des nouvelles de sa tante Irma qui habite Bruxelles et c’est le but !

Kriss Kraft, le goal français, a été trompé par la feinte de Cépatasseur (il l’a été aussi par sa femme, mais c’était au cours d’une autre rencontre) et l’Eczéma marque un premier but.

Eczéma : 1. France : 0.

Nouvel engagement.

Le stade hurle son mécontentement. La délégation eczémateuse brandit des fanions et entonne le chant de l’Épiderme. Le tumulte est à son comble. Bérurier met son pied nu sur la robe d’une dame qui ne s’en rend pas compte et qui hurle, à l’intention d’un joueur de l’équipe de France apparenté à l’assureur d’un cousin du jardinier qui taille les rosiers de sa belle-mère : « Vas-y Molo ! »

Une telle familiarité donne un sursaut à Molo. Justement c’est lui qui engage (il a l’habitude, son père était déjà engagé volontaire en 39 parce qu’il voulait les Pyrénées).

C’est maintenant Banania qui a la balle. Il descend au petit trot (il le peut, ayant relacé sa godasse) vers la cage adverse. À quelques encablures du rivage, il shoote en direction de son ailier droit. Le public mugit, vu que ledit ailier était tellement hors-jeu que s’il s’était trouvé à ce moment-là à la terrasse du Fouquet’s, il ne l’aurait pas été davantage.

La foule s’égosille, because l’arbitre n’a pas sanctionné la faute.

On le hue ! On le conspue ! On l’invective ! On le restitue ! On le destitue ! On l’insulte ! On l’accable ! On le dégrade ! On le flétrit ! On le profane ! On le déshonore ! On lui dénie le sifflet ! On le lui nie ! On le lui noue, on le lui coupe ! Mais il semble s’en moquer, l’arbitre, autant que de sa première choucroute.

Il est allongé sur le terrain, le naze dans l’herbe.

Il ne remue plus. Je vous parie un compte courant contre un courant d’air qu’il s’est assommé en chutant.

Des joueurs l’entourent. Certains font des gestes avec les bras pour alerter les soigneurs. On voit des zigs armés de petites valoches traverser le terrain en courant.

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1

Ordre fondé par Pie Pelet Ier, empereur d’Eczéma de 1004 jusqu’à sa mort.