Выбрать главу

C’était une petite pièce d’une saleté repoussante, couverte de graffiti. Le greffier fit vider les poches des deux hommes. C’était un Noir très grand, un Tutsi certainement, avec une expression de cruauté repoussante. Sans rien dire, il fit glisser toutes les affaires dans son tiroir. Puis il désigna la chevalière de Malko.

— Et ça ?

Déjà, il se penchait pour l’arracher de force. Il s’ensuivit une mêlée confuse. Malko prétendait qu’il faudrait lui couper le doigt pour l’ôter. L’autre hésitait un peu ; il n’avait pas d’outil sous la main.

C’est Couderc qui sauva la situation. En swahéli, il dit au greffier :

— Si j’étais toi, je ne la prendrais pas. C’est son fétiche. Sur toi, ça va devenir un très mauvais fétiche.

Du coup, le greffier n’insista pas. Couper un doigt, d’accord, mais se mettre un mauvais fétiche sur le dos, c’est comme ça qu’on s’attire des ennuis.

Deux gardiens dépenaillés les entraînèrent à l’intérieur de la prison. Le couloir sentait à peine plus mauvais qu’un zoo mal tenu. Derrière les barreaux des cellules, les prisonniers se penchaient avec curiosité pour observer les deux Blancs. Depuis le départ des Belges, c’était la première fois que cela se produisait. Malko eut une bonne surprise en découvrant leur cellule : il y avait deux lits avec des moustiquaires, une table et un petit ventilateur. Le luxe, quoi ! Et même un soupirail donnant sur la rue.

Le greffier les rejoignit. Il était nettement plus aimable. Bakari avait dû lui expliquer l’importance de leur crime :

— Je m’appelle Bobo, dit-il en tendant la main à Malko. Je suis le gardien-chef. Ici, il faut être très sage… mais la nourriture, elle va être très bonne pour vous. Le commissaire, il a donné des ordres. Tous les jours on ira vous chercher les repas à La Crémaillère. Comme pour un ministre, ajouta-t-il fièrement.

Curieuse prison…

Avant de refermer la porte de la cellule, Bobo glissa à Malko :

— Quand vous aurez trop à manger, vous me le dites. C’est pas bien bon ici pour nous…

De mieux en mieux. C’était quand même une piètre consolation d’être mieux nourri que ses gardiens.

Le commissaire arriva très fringant à La Crémaillère pour dîner. Il se sentait en pleine forme. Ari-le-Tueur n’avait plus rien à dire : son ennemi était en prison avec une inculpation de meurtre.

Nicoro venait d’ailleurs de classer définitivement l’horrible accident qui avait coûté la vie à la jeune Jill. Une bien pénible chose. Ari avait perdu en même temps sa maîtresse et son animal favori. Il lui fallait sa robuste constitution pour ne pas être abattu par un tel coup du sort.

Finalement, à la suite d’une longue conversation téléphonique, il avait reconnu que les méthodes légales du commissaire avaient le mérite de ne pas faire de vagues.

Perdu dans ses pensées, Nicoro ne vit pas Brigitte Vandamme s’avancer vers lui, toute froufroutante. Ils se heurtèrent presque et la tunique bleue reçut le choc de l’opulente poitrine et d’un parfum ravageur.

— Alors, commissaire, quoi de neuf ? J’ai vu que vous faisiez emmener des prisonniers à la Maison-Blanche ce matin ?

Nicoro ne se fit pas prier pour raconter sa glorieuse capture. Brigitte l’écoutait avec une attention inhabituelle. Elle ne pouvait effacer de sa mémoire les yeux dorés qu’elle avait aperçus à travers le grillage du déplaisant panier à salade.

Elle avait sa morale à elle, Brigitte. Et elle ne concevait pas qu’un homme aussi attirant soit aussi maltraité. Dans la mesure de ses faibles moyens, elle s’était juré d’y mettre bon ordre.

Chapitre X

Ivre de rage, Malko prit le tabouret et entreprit de marteler systématiquement la porte de la cellule. En face, les parias du bloc Huit l’encourageaient bruyamment, à coup d’obscénités en français et en swahéli.

Bobo, le gardien-chef, arriva en traînant les pieds, grattant ses cheveux crépus d’un air embarrassé. Il avait horreur des complications.

— N’y a pas bon bwana, faire le bruit. Le déjeuner n’a pas bon ou quoi ?

— Je me moque du déjeuner, rugit Malko. Je veux qu’on prévienne un avocat ou mon ambassade.

Bobo hocha la tête, désolé.

— Bwana, je ne peux pas faire chose comme ça…

Soudain son visage s’éclaira et il murmura quelques mots à l’oreille de Malko : l’épicerie en face de la Maison-Blanche avait une petite fille de treize ans. Avec un bon dash[8] on pourrait s’arranger…

— Non, dit Malko fermement. Je veux un avocat, ou je fais la grève de la faim.

De plus en plus désolé, Bobo referma, ne comprenant pas, quand on en avait les moyens, qu’on puisse refuser une offre aussi alléchante.

Découragé, Malko s’assit sur son lit, la tête entre les mains. Couderc tenta de le réconforter :

— Moi, la dernière fois, je suis resté huit mois…

Il y avait six jours qu’ils étaient là. Personne ne s’était préoccupé d’eux. Bien sûr, ils avaient la meilleure cellule de l’établissement. Même un boy pour faire le ménage.

Quant à la nourriture, deux fois par jour, un boy de La Crémaillère venait prendre la commande et ramenait les plateaux, chargés de victuailles chaque fois plus appétissantes.

Heureusement, car l’ordinaire de la prison se composait d’une bouillie de mil transparente avec, deux fois par semaine, des morceaux de viande innommables. D’ailleurs, les prisonniers noirs mouraient comme des mouches. Chaque matin, Bobo mettait les corps dans la cellule Dix en attendant que le corbillard municipal vienne les chercher. Malko s’était taillé une popularité énorme en distribuant les restes de ses repas pantagruéliques aux dix affamés entassés dans la cellule en face de la sienne. En échange, ceux-ci lui avaient remis un onguent qui avait guéri rapidement les blessures de Couderc et sa plaie au crâne.

Piètre consolation !

La Maison-Blanche ne méritait pas son nom. L’intérieur était d’une saleté repoussante, et l’odeur aurait fait fuir un putois. Pris dans l’univers ubuesque de l’Afrique, Malko commençait à se demander s’il allait s’en tirer. L’accusation grotesque de meurtre n’aurait pas tenu longtemps dans un pays normal, mais ici, tout semblait parfaitement dans les normes.

— Il faut faire quelque chose, dit Malko. Sinon, nous sommes perdus.

A ce moment, dans le couloir, retentit le bruit inattendu de hauts talons féminins. Une clef tourna dans la serrure et la bouille hilare de Bobo apparut :

— Y a n’a la visite, bwana…

Et quelle visite !

175 centimètres de chair ferme moulée dans une soie rouge taureau, croupe et seins agressifs, avec un visage à La Sophia Loren, en un peu plus tapé. Mais le tout encore très présentable.

Brigitte Vandamme, la patronne de La Crémaillère, la dévoreuse de boys, savait l’effet qu’elle produisait sur les hommes. Elle en était enchantée. Négligeant Couderc dont la silhouette blafarde ne lui inspirait que de sages pensées, elle fixa Malko d’un œil humide.

— Il paraît que mon repas n’était pas bon, monsieur, j’en suis désolée. Que voulez-vous à la place ?

C’était une astuce de Bobo. Il s’était dit que si Malko refusait une Noire, c’était peut-être qu’il avait envie d’une Blanche…

Ça tombait à pic. Depuis que Brigitte avait aperçu Malko dans le panier à salade, elle s’était juré de faire sa connaissance. Chaque soir, elle venait s’asseoir à la table de Nicoro et, surmontant son dégoût devant l’abominable faciès, elle parvenait à mettre dans son regard quelque chose qui ressemblait à du désir…

Maligne, elle ne l’attaquait pas de front ; mais elle multipliait les allusions aux mystérieux prisonniers blancs.

вернуться

8

Pourboire.