Naturellement, la garce ravaudeuse, la garce ravageuse, annonce que je l’ai violée. Que je lui ai sauté dedans à queue jointe, sans lui demander sa permission.
Affaire à suivre ! Elle veut pas porter plainte à cause de son grand terrible malheur. Pas le moment d’entacher la mémoire du disparu avec une histoire de viol avec effraction. Non, non, elle remet son chagrin et sa honte entre les mains de Dieu. Bénissez-moi, monsieur le curé, absolvez-moi tout bien, qu’il en reste plus. Le bidet rédempteur, elle demande. L’éponge à cul de l’âme. Le prêtre, un cher vieux bonhomme qui te croit en Dieu comme deux et deux font quatre, accepte de signe-de-croiser à vide, dans l’air corrompu. Un petit coup général, englobeur, un autre plus discret vers la chatte, un troisième à hauteur des nichemars. Le maire ponctue aussi, pour dire. Il est tout ébouriffé de voir cette splendide dame à poil et sans mari dorénavant.
Bon, il se dit qu’il n’a que 64 ans après tout, qu’il bande moins dur que sous Guy Mollet, mais qu’il a de beaux restes, d’autant que sa mémé n’est désormais bonne qu’à la soupe.
Et il tapote les épaules nues de l’impétrante (elle a son certif accroché au mur) empêtrée en lui disant qu’il viendra la voir pour causer de sa pension. La conseiller à propos du bateau La Môme Crevette qu’il va falloir vendre. Il a des ailes de géant, m’sieur le maire, qui, si elles l’empêchent d’albatrer, ne l’empêchent pas de déconner.
Je pars sous l’opprobre général. Régalé mais furax.
Le Vieux écoute mes salades en pouffant. Il exulte de savoir que je me suis fait piquer en flagrant délit de viol par le maire, le curé et le yeut’nant de gendarmerie.
— Faut-il que je fasse mes valises immédiatement, patron ? je questionne.
Sa respiration produit un bruit de poumon artificiel dans l’écouteur.
— Vous plaisantez, mon petit ! S’il n’y a plus moyen de rigoler !
Quoi, est-ce lui, le Dabe ? Le Vénérable qui use d’un terme aussi voyou ? Rigoler !
— Elle est belle au moins, cette jeune veuve ?
— Une merveille, Boss.
— Le cul ?
— Dur comme mes deux poings.
— La chatte ?
— Pulpeuse.
— Les seins ?
— En poire.
— La toison ?
— D’or.
— Elle est vraiment blonde, San-Antonio ? gazouille l’alléché.
— Comme une quenouille de lin.
— Pratique-t-elle des fellations convenables ?
— Je n’ai pas eu l’occasion de le vérifier. Mais je pense que nous nous trouvons en présence d’une surdouée.
— Parfait, j’irai lui présenter mes condoléances, à la nuit tombée. Je suis sûr qu’une boîte de chocolat lui fera oublier son veuvage. Occupez-vous de l’enquête, San-Antonio.
— J’attends le rapport du médecin, Patron. Mais vous savez que le maire est décidé à réclamer ma tête.
— Qu’il prenne seulement garde à la sienne, tranche mon sous-préfet en raccrochant sec selon sa vieille habitude.
Bon, me voilà un peu soulagé. Requinqué. Un homme se pardonne rapidement ses saloperies lorsqu’elles demeurent impunies.
Là-dessus, Le Guennec pénètre dans mon bureau, tout émoustillé. Il me regarde d’un air d’en avoir un, de ses grands yeux bretons passés à l’eau de Javel.
— Une importante nouvelle, monsieur le commissaire.
— Elle sera la bienvenue, assuré-je.
— Le médecin-chef de l’hôpital[3] vient de pratiquer l’autopsie. Katkarre est bien mort par noyade. Son corps ne comporte aucune autre plaie que celles qui lui ont été infligées hier au cours de cette bagarre.
— Où est la grande nouvelle, Le Guennec, mon chérubin rose ?
— L’eau contenue par ses poumons n’est pas de l’eau de mer, mais de l’eau douce.
Au-dehors, y a un vieux joueur de vielle qui la ramène en breton pur fruit. Il mouline sa vielle tandis que sa vieille fait la quête. Je m’approche de la fenêtre pour admirer ce spectacle folklorique. Le bonhomme en vêtement noir et chapeau rond, la vieillasse avec ses jupailles froufroutantes et sa coiffe en forme de cou de cygne. A se demander l’idée qu’elles ont eue, ces braves dames, de se foutre une coiffure pareille sur la tronche dans ce pays de vent !
— Qui est-ce ? je demande à Le Guennec.
— Le barde Delar’r, monsieur le commissaire. Il chante la mort de Katkarre, c’est la coutume du pays.
Il attend mes réactions. Comme je ne peux pas le sonder, je le laisse sur ses espérances.
— Ils sont marrants, ces deux personnages, je fais, comme si le cas du commandant de la Môme Crevette m’intéressait autant qu’un discours de Jules Canuet. Et que chante-t-il ?
Le Guennec me fournit une traduction hâtive :
— Qu’il naviguait sur le grand océan, dans les brumes du Nord, que la vie lui tendait les bras, mais que la mort a été la plus forte et qu’il est allé rejoindre les marins des siècles passés, au pays des sirènes.
— De toute beauté, conviens-je, on dirait du Maurice Druon de l’époque londonienne. Très bien, je vous remercie, Le Guennec.
Il méduse, le flic breton.
— Mais, on ne…
— Pardon ?
— A propos de cette nouvelle…
— Je m’occuperai de la chose.
Il se retire avec une tronche de colin qui aurait perdu sa mayonnaise.
Bérurier le remplace.
Fleurant fort le calva. Son haleine fait songer à une tannerie, tant elle est vigoureuse, implicite et tronquée, comme l’écrirait un poète concentraceptique de mes anciennes relations.
Il rigole de tout, le Gros. De lui d’abord, et puis des autres, de la vie, du temps qui coule.
— Je peux te dire que c’est pas le dénommé Tango qu’a flanqué Katkarre dans la tisane.
— D’où te vient cette certitude ?
— Il s’est embarqué très tôt ce matin à bord d’un canot tomobile que lui a prêté un ami.
— Pour aller où ?
— A l’île de Nichemar’h, paraît-il, où qu’habite un de ses frelots.
— Qu’appelles-tu tôt, Alexandrovich ?
— Oh, à poltron minette : sur les couilles de quat’ plombes. Or, on a vu le commandant Katkarre sur le port depuis. Y détachait sa plate.
Mon bigophone glapite. Je décroche. Une voix basse, presque aphone, murmure :
— C’est le commissariat ?
— Mieux : c’est le commissaire en personne, réponds-je.
— Ici un membre de l’O.L.B.
— Il s’agit d’un club de football ?
— Non : Organisme pour la Libération de la Bretagne.
— Faites excuse, et alors ?
— On voulait juste vous dire d’ouvrir vos fenêtres pour mieux entendre.
— Entendre quoi ?
— L’explosion. Vous en avez bien une qui donne sur la mer, non ?
— Evidemment, excepté les chiottes du café de la Marine, je me demande où il faudrait aller pour ne pas voir la mer dans ce patelin.
— Alors contemplez la mer, commissaire, en direction de la Pointe du Chaz. Ça va être impressionnant.
— Et ça va l’être dans combien de temps ?
— Si votre montre indique onze heures vingt-six, comme la mienne, ça le sera dans quatre minutes.
Et on racroche.
Je reste un instant perplexe. Décidément, ce patelin est moins monotone que je ne le croyais. On peut même admettre qu’il s’y passe des trucs intéressants.
— T’as l’air dans le yaourt ? me fait Béru.
— Allons à la fenêtre, Gros.
— T’as des vapeurs ?
— Un correspondant presque anonyme me promet un feu d’artifice pour tout de suite.
3
L’hôpital de Ploumanac’h Vermoh possède l’électricité, l’eau chaude, un bloc opératoire, mais ne comporte qu’un seul docteur que l’on a promu médecin-chef.