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Ce qui m’intéresse, c’est l’escalier de ciment avec rampe de fer collé au mur du fond.

— On y va mollo, hein ? chuchoté-je dans les manettes du Mahousse.

Il branle ce que tu sais d’un air entendu et véhément. Allons-y, casquette ! Quatre à quatre, de la pointe du soulier, kif un footballeur qui s’exerce au dribbble[8].

Au sommet des marches, nouvelle porte de fer. Celle-là n’est pas fermée à clé. Juste un loquet. J’entrouvre mollo. Ça nous permet de pénétrer dans un second entrepôt, beaucoup plus petit ; aux murs des rayonnages, et sur ces rayonnages, des centaines et des centaines de cassettes vidéo. J’en empoigne une, au hasard, elle est vierge. Ensuite, j’en moissonne une deuxième, puis une troisième, vierges aussi.

Au centre de la pièce, il y a une grande table métallique avec des piles de cartons mis à plat, des rouleaux de scotch, de la ficelle, des étiquettes, bref, tout ce qu’il faut pour confectionner des emballages.

— Dans le cul, non ? murmure Bérurier.

— On dirait.

— Ton toubib de mes fesses s’est payé ta cerise, Bout-d’homme.

Je m’assieds sur la table, jambes ballantes. Une verrière basse dispense la clarté du jour mourant.

Curieux comme cet endroit où l’on vend des appareils à faire du bruit est absolument silencieux. On se croirait dans un caisson insonorisé. Juste un petit bruit ritourneur me parvient, à la fois proche et feutré. Une sorte de musiquette que je connais trop bien car elle me scie les nerfs, parfois. Elle est produite par un de ces petits jeux électroniques Game & Watch japonais. Toinet en possède un que j’ai eu la témérité de lui acheter, le jour où il a eu sa moyenne en orthographe, pour la première fois depuis sa scolarisation. Ça consiste en une barque sur la mer, barque dans laquelle se trouvent trois scaphandriers. Au fond de l’eau, une vilaine pieuvre noire est à l’affût. Les scaphandriers plongent pour aller repêcher le trésor d’un galion coulé. On règle leur plongée à l’aide de deux petits boutons rouges. La méchante pieuvrasse tente de glouper les plongeurs. Chaque fois qu’on parvient à les soustraire de ses tentacules, des points s’inscrivent sur un cadran. Le jeu produit un tic-tac musical et quand la pieuvre se saisit d’un petit bonhomme, un klaxon se déclenche. C’est cela que j’entends. Et ce bruit familier me fait songer à Antoine. Et alors, moi, que tu connais comme si je t’avais fait, je décide que le lardon est dans les parages.

— Qu’est-ce t’as-ce ? interroge mon ex-directeur.

Je lui intime de la boucler. Mon doigt dressé l’incite à tendre ses baffles.

— Ce p’tit zinzin ? il chuchote.

Je bats des cils.

— Eh bien-ce ?

— C’est un jeu dont Toinet ne se sépare même pas pour dormir.

— Y en a d’autres, objecte le Musculeux.

Oui, c’est juste, il y en a d’autres, des milliers d’autres, mais j’ai décidé qu’il s’agit de celui de Toinet, un point à la ligne c’est tout !

Chien de chiasse, l’Antonio ! Fureteur. Mais à vaincre sans mes rides on triangle sans boire, comme l’écrivait si justement l’homme qui bayait aux. Face à la baie, le mur comporte un renfoncement et il m’est aisé de constater qu’en cet endroit les rayonnages sont vides et qu’ils s’appuient contre un panneau coulissant. Que je fais coulisser un chouïa. De quoi glisser une œillée dépourvue de tout orgelet par l’interstice.

Je capte les deux tiers d’une chambre. M’man et Toinet s’y trouvent. On les a installés sur un lit de cuivre. Ils sont tête-bêche et on leur a mis des menottes dont chacune décrit un tour à l’un des barreaux du plumard. En outre, on les a rendus muets en les muselant avec de larges bandes de sparadrap. Tout cela est d’un grand classicisme, mais de les dénicher ainsi, ma vieille chérie et le garnement, j’en ai le pétard qui me vient tout seul au bout des doigts.

Le célèbre Santonio se recule pour permettre à l’Ineffable (de Florian, pour changer) Béru d’appréhender la situation.

Mais lui, il est plus impulsif que ma pomme. Le voici qui ouvre en grand pour se précipiter dans la chambre.

Tu verrais la réaction de Félicie en m’apercevant ! Ses yeux rient. Ils sont empreints de la plus totale tranquillité. Pas un instant elle ne doutait de ma venue, m’man. Elle a tellement confiance en moi qu’il m’est impossible de lui causer une surprise.

Bon, alors on est là, le Mastard et bibi, flingues en main, parés pour tous les rodéos, tous les Verdun.

Une voix nous parvient de la pièce voisine. Elle jacte français, mais avec un accent asiatique.

Et sais-tu ce qu’elle dit, cette voix ? Le sais-tu ?

Elle dit comme ça :

— Et à quelle heure, le commissaire Sant-Antonio sera de retour ?

— …

— Vous ne savez pas. C’est un vrai quoi ? Un courant d’air ? Dès que vous le verrez, dites-lui qu’il ne quitte plus son bureau avant que je l’aie rappelé, c’est très important : il s’agit de sa mère et de son fils !

Le petit jouet de Toinet continue tout seul à déconner. La pieuvre noire s’en donne à tentacules joie et bouffe les scaphandriers comme des amuse-gueules. On dirait un caquètement de poule avec des résonances métalliques. Son espèce de petit klaxon se déclenche à tout bout de champ. Tuu turlu tu tu ! Bon appétit, la pieuvre !

Le jacteur de la pièce voisine raccroche.

J’ai déjà arraché le bâillon d’Antoine et sa bouche irritée ressemble à un cul de singe.

— Combien sont-ils ? je demande.

— Y en a qu’un, chuchote Antoine.

Alors je souris et pénètre dans la pièce d’à côté. Un Jaune s’y trouve. Un mec trapu avec le regard en code. Deux trous de bite pour voir venir, c’est pas suffisant. Il a l’air soucieux, et mon intrusion ne lui apporte pas la sérénité.

— Vous vouliez me parler ? lui demandé-je-t-il.

Mon pauvre ami ! Ah ben celle-là, tu me la copieras ! Aucun animal au monde, sinon le boa constructeur, ne peut plonger sur sa proie avec un pareil instantanéisme. J’ai pas le temps de comprendre que me voici avec sa grosse tronche dans l’estomac.

Il part à dame, Antonio, le souffle sectionné net. Dans un brouillard, je vois mon tagoniste agenouillé à trois pas de moi, le masque convulsé par l’énergie.

Mais il tombe à la renverse car Béru vient de lui propulser un fauteuil voltaire dans le portrait. C’est lourd, un fauteuil voltaire. C’est raide. Le mec demeure les bras en croix sous le siège, groggy.

Le Gros s’avance, noble à tout jamais. Il redresse le siège, place l’un des pieds d’icelui sur le ventre du Jaune et s’assoit dans le fauteuil devenu bancal en déclarant :

— T’sais qu’ça nous mordrait, ces mecs, si on s’laisserait faire ?

Je me redresse tant bien que mal.

— Eh ben dis donc, l’grand, gouaille Toinet, ’reusement que tonton Béru était là !

Vexé, je m’approche de deux valises qu’il me semble reconnaître, en ouvre une. Bonno : les cassettes du bon docteur Fépaloff sont bien là.

On dirait que le vent a tourné, non ?

ÉPIGLOTTE

— Ne bougez pas ! Ne bougez surtout pas, madame de Vidroupette, ça va bientôt y être ! assure dame Mathias. Mon Dieu, mais il a fait combien de tours avec ce fil de fer ? C’est toi, Agénor, qui as ligoté Mme la colonelle après la machine à laver ?

— Non, c’est Gaëtan, proteste l’inculpé avec une mauvaise foi grosse comme ta connerie.

— Et qui l’a obligée à boire un litre d’huile Lesieur, je parie que c’est Mathieu !

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8

L’autre jour j’avais écrit drible avec un seul « b » : j’ai reçu une lettre d’insultes de la Fédération de foot. Alors j’en mets trois, cette fois-ci, pour compenser le dommage.

San-A.