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Il fut tiré de ses pensées par trois coups discrets frappés à la porte de son bureau.

— Entrez !

Jeanne apparut, se figeant sur le seuil. Comme si elle avait peur de déranger.

— Jeanne ?

— Je peux vous parler ?

— Oui, bien sûr… Entrez…

Elle fit quelques pas et resta debout face à lui.

— Asseyez-vous, je vous en prie…

Bizarre, sa façon de s’asseoir. Toujours sur le bord de la chaise. Comme si elle avait peur de prendre trop de place.

— Il a avoué ? demanda-t-elle.

— Non.

— Ah… Mais vous êtes sûr que c’est lui ?

Putain ! Elle va arrêter avec ça ? Elle va finir par me faire douter ! Par me porter la poisse !

— Oui, j’en suis sûr, Jeanne. On a des preuves matérielles contre lui.

— D’accord, mais…

— Mais quoi ?

— Rien… Vous avez sans doute raison… On a appris pourquoi il a fait ça ?

— Non, il n’a rien voulu dire.

— II… Il est où ?

— Chez le juge d’instruction… Vous n’avez plus rien à craindre Jeanne.

— Et moi ? Qu’est-ce qu’il va m’arriver ? Je vais aller voir le juge, moi aussi ?

Elle semblait tellement effrayée, ça faisait mal au cœur.

— Oui, Jeanne. Vous serez convoquée par le juge. Il vous mettra certainement en examen pour obstruction à la justice mais vous laissera en liberté.

— En examen ?

Examen. Elle imagina soudain des tas de gens en train d’examiner sa conscience. De disséquer son cerveau. Sa folie.

— Mais je vais être virée, alors ?

— Virée ? Non, je ne crois pas… Vous aviez des circonstances atténuantes. Et puis, vous êtes un bon élément.

— Comment vous le savez ?

— C’est l’idée que je me fais de vous !

Il alluma une cigarette et lui tendit le paquet.

— Non, merci, je ne fume pas…

— Vous avez raison, ça coûte la peau du cul et ça fracasse les poumons !

— Alors pourquoi vous fumez ?

— Ben… J’en sais rien ! C’est l’habitude, sans doute… Ça me calme !

Des secondes silencieuses qui les rapprochèrent encore. Mais, sur son visage à elle, les angoisses, comme des ombres…

— Qu’est-ce qui ne va pas, Jeanne ?

— Je sais pas… J’aurais aimé savoir pourquoi il a fait ça… Pourquoi il a tué tous ces gens…

— Moi aussi, avoua le capitaine d’un ton désabusé. Moi aussi… Mais nous le découvrirons sans doute un jour ou l’autre… A votre avis ?

— Hein ?

— D’après vous, pourquoi a-t-il commis ces meurtres ?

— Je n’en ai pas la moindre idée… Ces gens lui avaient fait mal, très mal… Il s’est vengé, tout simplement…

— Tout simplement ? répéta Esposito. Vous en parlez comme si vous lui pardonniez ces actes ignobles ! Je vous rappelle qu’il s’agit de six meurtres odieux !

Un silence encore. Plus long que le premier. Qu’est-ce qu’il se passe dans sa tête ? À quoi elle pense ? Pourquoi a-t-elle toujours l’air aussi triste ?

— Ça vous dirait d’aller boire un truc frais ? proposa-t-il soudain. Il fait chaud, non ?

— Il faut que j’aille à la gare prendre mon TER… Je suis en retard, je vais rater le 17 h 36…

— Vous prendrez le suivant ! Je vous emmène en voiture, il y a un café sympa près de la gare… Comme ça, vous serez sur place…

Il se leva, prit son arme dans le tiroir de son bureau et les clefs de sa voiture. Mais Jeanne restait curieusement assise sur sa moitié de chaise.

— Alors, vous venez ? On va fêter ça !

Fêter quoi ? La trahison ne se fête pas. La douleur non plus.

Ils quittèrent le commissariat. Jeanne serrait son sac contre elle. Le parking souterrain, la voiture. Pas un mot échangé.

Marseille, son soleil, sa joyeuse pagaille, ses mauvais conducteurs. Toujours pas un mot…

Le capitaine gara la voiture en double file, non loin de la gare et baissa le pare-soleil où était inscrit « Police » en bleu.

Jeanne le suivit, la main crispée sur l’anse de son sac, jusqu’à la terrasse bondée et bruyante d’une brasserie. Il avait déjà choisi la table et l’invita à s’asseoir.

— Ici, ça vous convient ?

Pas de réponse. Elle a vu un fantôme ou quoi ?

— Ça vous convient ?

— Trop de monde…

Mais pourquoi parle-t-elle aussi doucement ? On dirait toujours qu’elle a peur de réveiller quelqu’un.

— Pardon ?

— Trop de monde…

Allons bon ! Ce qui aurait dû être un plaisir semblait une torture.

— Avec cette chaleur, pas évident de trouver une terrasse où y’a dégun[2] ! lança-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Mais elle refusait toujours de sourire. De glace malgré la canicule.

— Vous ne vous sentez pas bien ?

— Trop de monde…

— Oui, ça, j’avais compris ! Vous savez, faut apprendre à combattre ce genre d’appréhension… Sinon, ça va vous pourrir la vie…

— J’y peux rien…

— Mais si ! Qu’est-ce que vous voulez boire ?

Le serveur arriva, passa un coup de chiffon humide sur la table en marbre et y déposa un cendrier propre.

— Bonjour, m’sieur-dame ! Qu’est-ce que j’vous sers ?

— Un demi, bien frais. Et vous, Jeanne ?

— La même chose…

Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir, cerveau paralysé par la peur. Elle en avait oublié qu’elle n’aimait pas la bière.

Le garçon était déjà parti et elle continuait à épier autour d’elle, comme si elle craignait une attaque surprise. Le capitaine préféra se taire un moment et l’observa tandis qu’elle, observait la foule.

Calme-toi, Jeanne. Il fait beau, tu es avec le capitaine Esposito en personne, alors profites-en.

Petit à petit, elle sembla se détendre. Esposito avait-il le don de la rassurer ?

Les bières arrivèrent, fraîches et ambrées. Le capitaine étancha sa soif.

— Vous connaissez l’ESCOM ? fit-il soudain.

Jeanne tressaillit et détourna la tête.

— Oui, c’est une école de commerce…

— Vous y êtes allée ?

— Non.

— Mais vous connaissez quelqu’un qui y a fait ses études ?

— Oui.

Heureusement que poser des questions, c’est mon métier ! Parce qu’avec elle, c’est pas gagné !

— Qui ? interrogea-t-il encore.

— Michel…

— Et qui est Michel ?

— Je n’ai pas envie d’en parler.

Message clair. Sans appel. De toute façon, je finirai bien par savoir.

— OK… Comme vous voudrez… Je vous demandais ça, parce que les meurtres ont un rapport avec l’ESCOM…

Elle le regarda enfin et enleva même ses lunettes. Du coup, ce fut lui qui se sentit légèrement mal à l’aise. Pas à dire, ces yeux lui faisaient de l’effet.

— Vous en êtes sûr ?

— Oui. Toutes les victimes sont d’anciens étudiants de l’ESCOM ou petites amies d’étudiants… Et le tueur a aussi fait un passage là-bas..

— Ah…

Elle remit bien vite ses lunettes, troublée. Michel. Lui aussi était allé là-bas.

Simple coïncidence, sans doute. Ne pense pas à Michel, Jeanne ! Par pitié, pas maintenant ! Sinon, tu vas faire fuir Esposito !

— C’est un ancien petit ami ?

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Dégun : personne