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Grande, blonde, le regard d’un bleu de « lapez-la-Julie » comme dit Béru. Un port épique. Une grâce, une beauté, nananère ! Tout ! La fée ! Tu restes coi, tu deviens coït. T’as envie de lui supplier de ne plus bouger et de t’asseoir devant elle pour la regarder tout bien, partout, sans rien laisser perdre, que rien ne t’échappe surtout pas. Elle porte une espèce de robe indienne aux impressions héroïques[11], bleu foncé avec des ramageries bronze et ocre, bordel ! Des spartiates dorées, oui ! Et puis des bracelets anciens, des colliers plus anciens encore. Et sa coiffure ! Sa coiffure, nom de Zeus, sa coiffure !

Comment qu’on arrive à ça ? Cette harmonie, ce ploufignal, ce gradinge, ce mordurond, ce chose, quoi !

Elle me sourit. La grande dame ! Cette affaire pleine de particules finit par être particulière, ayons pas peur de calembourer dans la vase.

Derrière la dame, je distingue, en partie, son logement. L’écrin est digne du joyau, comme l’écrivait Robbe-Grillet dans son Traité onirique sur la moustache sans poils. Tout tendu de tissu véry bioutifoule, délicat, subtil. Franchement déroutant, sans charre. J’en connais des photographes de presse, j’ai beaucoup de potes dans cette honorable corporation, je dirais même des chiées pour être plus précis, alors tu vois ! Eh bien, aucun d’eux (ou d’œufs car j’en sais qui sont chauves) n’a jamais possédé une épouse ni un appartement pareils. Never !

— Déjà ! gazouille-t-elle en me jaugeant d’une œillerie féconde[12].

— A cette heure, les artères sont dégagées, fais-je observer.

J’entre.

Inouï. Le grand super luxe. Pas celui des z’ensembliers-décoramerdeurs qui uniformisent les appartements à partir d’un certain niveau de vie. Moi, j’ai des relations, j’sais jamais chez laquelle que je me trouve, tant tellement leurs crèches sont identiques, hallucinantes de pareilleté, avec les mêmes tentures, gravures, meubles, canapés, plus mimétiques que les F3 des Mureaux ou de Sarcelles… A croire qu’ils raffolent tous des mêmes chieries impersonnelles et qu’ils complaisent dans l’anonymat de luxe. Le buffet campagnard gratuit a porté ses fruits (de la Passion), les gars. Bravo !

Chez Jasmine de Hurlevon, c’est raffiné. Rare, même. Je ne suis pas d’accord sur tout, mais je reconnais franchement la qualité très affûtée de l’ensemble.

Le livinge n’est pas très grand, mais si feutré, si gourmand. Une chaîne hi-fi hifise une mélodie suave, un énorme bouquet de fleurs savamment agencées met de la joie dans la pièce.

Elle me désigne un fauteuil très bas qui m’absorbe jusqu’aux épaules.

— Que puis-je vous offrir ?

J’aime ses yeux, sa couleur, son parfum, ses fringues, son sourire, ses formes, ses dents, son bouquet de fleurs, sa musique douce, son fauteuil, ses mains, ses bijoux, sa cordialité. Et je suis prêt, archiprêt, à vénérer : sa chatte, ses seins, son nombril, sa peau, son whisky pur malt et sa technique. Évidemment, rien de comparable avec Mado Moulfol. Jasmine, tu comprends, elle te donne envie ; la Mado, elle, t’emporte.

Mais il serait indécent de m’étendre sur cette dernière au moment où je convoite une autre personne de son sexe.

— J’aperçois sur cette délicate table, entre autres merveilles, une bouteille de pur malt dont je boirais volontiers quelques gorgées, réponds-je.

— On the rocks ? elle demande, ce qui fait toujours très con, à mon avis, dans une conversation française, merde, qu’à quoi bon s’échiner à créer des néologismes si c’est pour se foutre à jacter anglais !

— Juste avec un glaçon, si vous voulez bien, rectifié-je.

Elle me virgule un gentil sourire, style : reçu cinq sur cinq, pardon : five on five !

— Ainsi vous étiez un ami de Léo ?

— Et un bon, fais-je, pour couper aux détails fâcheux.

— Vous faites dans la presse, vous aussi ?

— Non : l’administration. J’étais rattaché aux Affaires étrangères… Ce scotch est fabuleux. Ainsi mon vieux Léo n’est plus ?

— Comment l’avez-vous appris ?

— Des confrères à lui auxquels je demandais de ses nouvelles. Un accident, n’est-ce pas ?

— Hélas.

— De moto ?

— Oui.

Elle a pris place en face de moi, a croisé ses jambes, mais en rajustant bien sa robe, l’idiote, pour la faire tomber le plus bas possible.

— Ça vous ennuie peut-être d’évoquer ces vilains moments, madame de Hurlevon ?

— Au contraire. Quand vous l’avez connu, il avait encore sa barbe ?

— Bien sûr.

Elle sourit nostalgiquement.

— A l’époque, on l’avait surnommé Noé, je ne sais pas pourquoi… Sûrement à cause de sa barbe.

— Comment est-ce arrivé ? Je veux dire, l’accident ?

— Dans une ligne droite, un chien errant traversait la route au moment où il arrivait à plus de cent cinquante sur sa moto. Il a été tué sur le coup.

— Il y a eu des témoins ?

— Non, un représentant de commerce l’a découvert, disloqué au milieu de la chaussée.

— Comment en ce cas sait-on que c’est un chien qui a provoqué l’accident ?

— Le cadavre de l’animal gisait près du sien.

Un temps, le disque vient de changer ; maintenant ça musique à base de guitares, un truc sudamerloque : les Andes, tu vois ?

— C’est moche, soupiré-je.

Je regarde autour de moi.

— Pardonnez-moi cette question, mais vous avez l’air de vous en sortir, non ?

— Mon père est dans les sucres.

— Eh bien, c’est une bonne idée, encore que, de nos jours, tout le monde se convertisse aux édulcorants pour échapper aux bourrelets.

« Je n’ai pas revu Léo depuis notre voyage en Chine Populaire. »

Là, je place un petit rire attendri du meilleur effet, le genre de ricanement qui se doit d’être suivi d’un pleur pudiquement écrasé à la dérobée de manière à ce qu’il n’échappe à personne. Ce dont je.

— Je me souviens qu’il avait acheté une énorme potiche ancienne, reprends-je, je l’ai même aidé à la transporter jusqu’à l’aéroport.

Elle hoche la tête.

— Il l’a brisée, me dit-elle.

— Non ! Après tout le mal qu’il s’était donné pour la ramener…

Jasmine fait la moue.

— J’ignore pour quelle raison il avait fait une pareille emplette ; comme vous pouvez le constater, la chinoiserie ne fait pas partie de nos goûts en matière de décoration.

— Cette potiche était très ancienne.

— Cela ne fait pas tout.

— Elle n’était pas raccommodable ?

— C’était devenu une sorte de puzzle. Vous reprenez un scotch ?

— Non, merci.

Et puis la converse tombe en panne. Maintenant la belle Jasmine semble attendre. Mais attendre quoi ?

Je suis vanné, fourbu, rectifié. Mes paupières me brûlent. Pourtant, il n’est pas tellement tard. Faut que je pousse mon enquête, je ne suis pas seulement venu chez cette digne veuve pour la contempler en me disant que je lui ferais volontiers soupeser mes petites filles modèles.

— A propos de cette potiche…

— Oui ?

Je liche l’eau de mon glaçon pour éviter d’avoir à regarder mon interlocutrice.

— Les gars qui m’ont appris le décès de Léo m’ont raconté je ne sais quelle histoire de cornecul à propos du vase chinois…

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11

Pourquoi pas héroïques ? Tu souhaiterais quoi d’autre à la place ? Biffe et remplace, je suis un auteur malléable comme un masque en caoutchouc ; et pas sectaire pour un franc, pas du tout agrippé à son texte.

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12

Là aussi : raillerie féconde, tu peux remplacer si ça te fait chier, n’hésite pas, j’écris pas pour la gloire !