Выбрать главу

— Tu n’as jamais parlé du parchemin chinois au cours de l’instruction.

Il pince du regard, cherchant dans ses souvenirs tuméfiés par la détention.

— Le parchemin chinois ?

— Celui de Léo de Hurlevon.

— Oh, oui. Pourquoi en aurais-je parlé ?

— Il a peut-être son importance dans tout ça.

— Vous pensez ?

— Va-t’en savoir… Ainsi Jasmine, la femme de Léo, est une cousine à toi ?

— Oui. Pourquoi ?

Je grogne :

— Pas de questions, te dis-je ! Me cours pas sur la bite, mon gars, je suis à cran. J’ai sommeil. J’aimerais me châtaigner avec un vilain, histoire de m’apaiser la nervouze.

« Tu le fréquentais beaucoup, le Léo ? »

— On prenait un pot ensemble, de temps en temps. Mais surtout je lui prêtais mon studio. Léo avait une liaison avec une petite bourgeoise que l’hôtel épouvantait et il venait la tringler chez moi. Ce n’est pas que son ménage marchait mal, mais au plan physique, ils avaient une grande liberté, Jasmine et lui.

— Parce qu’elle aime le gigot à l’ail, n’est-ce pas ?

— Elle a toujours été assez ambivalente.

— Donc, Léo se rendait fréquemment dans ta garçonnière ?

— Plusieurs fois par semaine, oui.

— Raconte un peu, maintenant, l’histoire de son manuscrit à la con. Et, je t’en conjure, n’oublie rien : on joue le dernier mouvement et les fausses notes ne pardonnent plus, parvenu à ce stade.

Il rêvasse, ou fait comme si. Je le branche sur un chapitre qui restait à ses yeux marginal.

Un léger sourire met de la détresse sur sa face blême.

— Il était très surexcité, reconnaît Gaspard. Je ne sais pourquoi il croyait avoir mis la main sur un trésor sans prix.

— Peut-être s’agissait-il bel et bien d’un trésor sans prix.

— Sans blague ?

— Selon les tuyaux que j’ai pu rassembler à ce sujet, il était question d’une découverte d’arme absolue.

D’Alacont fait la moue.

— Un parchemin vieux de plusieurs siècles, voire de deux millénaires, ne peut contenir le texte d’une invention moderne, voyons, c’est une blague !

Bien ce que je me susurre depuis des heures dans le silence distingué de mon sub’. Une blague ! Une vaste canulardise ! Et d’ailleurs, la vieille Marie, dans sa maison de repos presque éternel, ne m’a-t-elle pas dit que Clotaire de Bruyère rigolait dans sa bibliothèque, certain après-midi, alors qu’elle lui apportait l’un de ses trois thés quotidiens ? Et qu’il se claquait les cuisses, le cher homme en clamant : « la plus grande découverte depuis le feu et la roue ! »

Alors ?

— Oui, c’est troublant, admets-je, mais nous aurons probablement l’explication très prochainement car elle est incluse dans le prix du bouquin, et au Fleuve ils ne plaisantent jamais sur la nature de la marchandise. Un polar qui n’a pas de fin, ils te l’échangent contre le Larousse en onze volumes. C’est toi qui lui as conseillé de montrer le manuscrit à ton vieux tonton ?

— Oui. Je me suis rappelé que mon parent consacrait sa vie aux dialectes extrême-orientaux. J’ai donné ses coordonnées à Léo qui est allé lui porter sa trouvaille.

— Ensuite ?

— Léo était bouillonnant d’impatience.

Tiens, voilà qui recoupe les dires de Jasmine. J’aime bien, tous les poulets aiment bien, que des déclarations se recoupent.

— Pourquoi ?

— Parce que mon oncle le faisait lanterner. D’autant que des gens mystérieux lui auraient fait des ouvertures afin qu’il leur cède le manuscrit.

— Tu ne trouves pas ça un peu tiré par les crins, Gaspard ?

— Si, très. Pourtant le comte n’était pas un plaisantin. S’il a prétendu la chose c’est qu’elle était exacte.

Le moribond exhale un long cri éperdu, fait de douleur et de lassitude. Il commence à trouver sa vie longuette, cézigue, depuis le temps qu’il en bave sur son grabat. Il ferait bon mourir un peu, en finir avec toutes ces tracasseries terrestres sans queue ni tête. On se pointe et ça fait mal. Ensuite il faut repartir et cela fait encore plus mal. Si tu réfléchis, c’est pas si con que ça, son truc, à la dame Veil.

— Bon, il faut donc admettre qu’on a vraiment proposé à ton oncle de lui acheter l’invention ?

— Aucun doute sur ce point.

— Revenons à cousin Léo, tu me dis qu’il grouillait d’impatience comme une charogne grouille d’asticots…

— Oui.

— Il t’a dit qu’il irait récupérer son parchemin ?

— Il m’a appelé, le 3 avril, dans un bar des Champs-Élysées où il me contactait quand il désirait user de mon studio ; il hurlait de rage. Il jurait que mon oncle était un truand, un arnaqueur… Qu’il refusait de lui redonner son parchemin… Je lui ai promis de m’occuper de la chose personnellement.

— Et c’est pourquoi tu t’es rendu à Bruyère-Empot le lendemain ?

— Ce m’était une raison supplémentaire d’y aller.

— La principale étant ton besoin de fric ?

— Bien sûr.

— Tu t’es dit que cette affaire n’était pas catholique et que donc, il y aurait peut-être de la fraîche à affurer ?

— Plus ou moins, oui. Je pensais que quelque chose ne devait pas tourner rond du côté du comte et qu’il me serait alors plus aisé de l’amener à des sentiments généreux…

Malgré qu’il ait côtoyé le mitan, il s’exprime dans un français châtié, le Gaspard.

— Lors de ta petite virée solognote, tu n’aurais pas aperçu Léo, des fois ?

— Non, pourquoi ?

Tiens, voilà que je prends mal au cœur. Ces remugles d’éther, probable.

Je me lève, sentant que si je m’attarde encore je vais aller au refile.

— Vous partez déjà, commissaire ?

— J’ai école. Mais ne te tracasse pas, fiston : ça plane pour toi.

* * *

Je m’installe au volant sans que Riri ne s’éveille. Il est écroulaga au fond de ma chignole, derrière, en chien de fusil. Et il a retrouvé son petit bruit de clapet qui plaque mal.

Je le considère avec quelque envie. Qu’est-ce qui m’oblige à cavaler de la sorte ? Pourquoi cette affaire me tient-elle tellement à cœur ? On devrait guillotiner Gaspard, encore, je serais motivé, comme ils disent puis tous, ces cons insupportables que je me retire si bien et si définitivement d’eux ! Qu’enfin je crèverai probable sous ma tente, comme disait le cher Cocteau ! Ou comme le Montherluche qui s’en est filé un coup dans la poire, poum ! tant il cabrait devant la vieillesse ; ou encore comme l’Hemingway idem, poum ! poum ! Descendez, on vous demande. C’est l’heure de la grande roupille. Salut, dames et messieurs, bonne continuation !

Je te repose ma question : Qu’est-ce qui me mène avec tant tellement d’acharnerie ? Que je suis là, grelut et flageolard sur mes cannes. Mort de sommeil, branlant de fatigue. Mais avec l’appétit féroce de connaître la vraie vérité.

Je démarre. Tout juste si le sieur Henri, roi de Farce et de Navarin, modifie un peu sa ronflette, l’unissonne avec le bruit du moteur.

* * *

L’aube au sourire pâle (comme l’a écrit si bien Jean-Georges Revel dans son traité sur la façon de maltraiter les traités, ouvrage dans lequel les poils de cul sont écrits en braille pour que tu puisses les toucher) se lève sur la Sologne quand je me pointe dans la grande cour de l’auberge Saint-Hubert. Une tomobile fourgonnette ronronne dans la fraîchure[15] pré-matinale.

C’est le taulier qui se barre aux halles de Rungis-les-Bains. Il radine en poussant devant lui son haleine qui sent le café frais. Il est saboulé en chasseur, que tu le prendrais pour un de ses cilles.

вернуться

15

Oui : j’ai bel et bien écrit fraîchure, faites pas les cons, à l’imprimerie, de vouloir me rectifier l’orthographe. Cela dit, ça n’a aucune importance.