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— Ils t’ont payé avec de faux billets.

Il est tellement décomposé, ce chéri, que sa bouille ressemble à une tête de mort. Tu peux lui compter les chailles à travers ses lèvres.

— Tout à l’heure, j’ai eu une curieuse impression en voyant tes talbins, mon grand. Et puis ensuite je me suis mis à réfléchir. Des anomalies me sont apparues en mémoire. Attends, bouge pas, tu vas piger.

Je tire mon porte-lasagne et sors le billet bidon cité quelques merveilleuses pages plus haut, à peine.

— Tiens, fils, si tu n’as pas de la terrine de lièvre en guise de cervelle, compare et comprends. Sur l’avers et sur l’envers du billet il y a des églises. Sur l’église de l’envers, on peut voir un clocher dont l’horloge indique l’heure, tu aperçois bien ?

— Voui.

— Ta vue est bonne, fiston ?

— Moui.

— Alors il est quelle heure à tes billets, à toi ?

— Dix heures, il me semble ?

— A moi aussi, il me semble. Et il est quelle heure au mien, gros malin ?

Il exorbite des coquilles.

— Neuf heures vingt, non ?

— Oui, mon grand. Et attends, ce n’est pas tout. Sur la partie face, on distingue, dans le lointain, tout à fait sur la droite, une petite maison au toit noir. La maison de mon faf comporte six fenêtres ; sur les tiens, elle en possède huit ! De plus tu peux te rendre compte, en le comparant de façon très serrée, que la couleur diffère un brin. Le jaune de tes talbins est plus pisseux que le jaune du vrai, t’es d’ac ?

— Zoui.

Voilà, terminé, vaincu, ruiné, out.

Je récupère mon faf. D’un geste dérisoire, je brouille les siens, comme un jeu de cartes.

— Tu sais ce que je ferais, à ta place ? J’en tapisserais mes chiottes, ce serait marrant, non ? Surtout, n’essaie pas de les écouler, tu te ferais poirer et tu sais ce qu’il en coûte ? Lis le texte, là, concernant l’article 139 du Code Pénal : réclusion criminelle à perpétuité ! Tu sais que c’est longuet, perpète. T’as beau compter les jours, les années, y en a toujours davantage derrière !

Riri se laisse tomber sur la chaise la plus dépaillée. On sent que son existence vient de s’infléchir du côté du précipice.

Je lui tapote l’épaule.

— Ils t’ont eu, mon vieux lapin. Comme quoi, tu le constates : quai Malaquais ne professe magie. N’empêche qu’il est con que tu ne possèdes pas l’adresse de tes deux vilains guignols, t’aurais eu deux mots à leur dire, non ?

* * *

— Le poulet au vinaigre est sur table ! m’avertit charitablement Mado Moulfol, laquelle vient de clapper les deux pilons en m’espérant.

Elle se sert une aile afin de fêter ma venue.

Je dépose un bisou fripon sur sa nuque en peau d’andouille.

— Impossible de déguster, ma chérie, une affaire de la plus haute importation m’appelle à Paris, je viens d’en être informé à l’instant.

— Mais y a pas eu de téléphone pour vous !

Je sors d’une poche ma petite calculatrice réclame, offerte par une maison de débigornage.

— Je suis relié à mon P.C. par modulation de fréquentation.

— Ah, non. On n’arrête pas le…

— Non, confirmé-je, il va trop vite.

Pendant qu’elle m’admire, je fonce au biniou, fais mine de turluter, et entreprends de le détériorer, en diffasant l’incommodeur de blennorageance.

Bon, ils seront sans turlu aujourd’hui, les Moulfol’s. Déjà que les clients sont rares, en cette saison… Mais tous les moyeux sont blonds pour aviver sa faim.

Re-bise à la patronne, compliments réitérés au patron. Je lui dis ma navrance de ne pouvoir déguster son poulet au vinaigre, ce sera pour la prochaine fois. Je promets de revenir bientôt.

FIN IMMINENTE, INÉLUCTABLE ET DÉFINITIVE

Ma radio joue en sardine.

Un ancien succès de la grande Piaf : Alka Seltzer l’Amour[18]. Je suis délicatement embusqué dans la venelle dépavée jouxtant l’église de La Celle-Tontaine. Depuis ma planque, il m’est loisible d’observer les allées et les venues du bureau de poste (en anglais : the burlingue of the post).

Moi, tu sais pas ? C’est le pressentiment qui me mène toujours. En enquête je suis branché sur le compteur bleu de mon instinct. Y a qu’à lui filocher le train, il me guide toujours sur les chemins de Magloire et de l’honneur.

Or, donc, j’attends au volant de ma chignole en dégustant les piaferies de jadis. Elles deviennent folkloriques à mesure que le temps s’en va. Tout se transforme. Que j’en reste perplexe au sujet d’à propos de moi, me demandant dans combien de temps ils seront devenus franchement illisibles mes graffiti ? L’à partir de quand t’est-ce ils feront figure de hiéroglyphes en admettant que ça ne soit pas, déjà ! des textes anciens à déchiffrer par un quelconque universitaire en mal de momies.

Tout se périme si vitement, inexorablement… L’espace d’une pirouette, d’un coup tiré, d’un livre écrit…

Donc, j’attends. La Piaf finit son zinzin en assurant que « Ça sert à ça, l’amour. » Très bien. Lui succède une rafale de pubes affirmant bien fort, bien net, irréfutablement, que les produits Machin, Truc, Chose et Dunœud sont les plus ceci, les plus cela, et les plus tout court. Bravo. J’en achèterai. Mon sub’ est contaminé. Le moment venu, je tendrai la main vers le rayon voulu. Je l’ai eu profond, dans la cervelle. Pas à regimber : c’est fait, le viol est consommé. Vouloir se détourner de la trajectoire programmée équivaudrait à contourner l’objectif avant que de s’y emplâtrer, plaouff ! Poum ! Après la pube, y a un gonzier interrogé. Toujours, partout, t’as l’invité du jour, que dis-je ! de l’heure. Le mec connu. Ce qu’il aime ou pas, ses projets, boutades. La lyre. Tout le chenil ! Et alors, comme çui d’avant, comme çui d’après, il vient complaire, cet homme. Se dire franchement, à bloc, du plus haut intérêt ! Que, si t’as remarqué, de nos jours, les mouches ne peuvent plus s’asseoir tellement qu’on les encule et re-cule, ces pauvres bêtes. T’en vois, toi, des mouches assises ? Réponds ? Moi, never ! Des années de téloche leur ont pourfendu le fion, le leur a défoncé mochement.

L’enculade de mouches a pris des proportions fabuleuses. C’est de l’automatisme, quasiment. Enculer les mouches va de soi. T’as pas le temps de rentrer ton zob, et une autre encore : bzzz, bzzz !

Je ferme la clappouille du gus, un humoriste sur le déclin, qui décline en s’esclaffant le verbe avoir été.

Le silence me fait du bien. Je pense à la Mado. Déjà elle me manque, cette abrutie calamiteuse. Si je m’écoutais, je retournerais la fourrer à la langoureuse.

Mes flûtes s’ankylosent. Combien de temps que je poireaute ainsi, sans remuer ? Deux, trois heures ? Le soleil pâle a vadrouillé dans les zéniths et les ombres drapent leurs jupes sombres autour des façades du village, des quatre arbres de la placette où une fontaine gouline à petits jaillissements contrariés par le vent.

Et puis il se pointe enfin, Machin, exactement comme je l’avais prévu. A croire que je « voyais » la scène. Lui, sur un vieux vélo noir, pédalant mal, en homme pas habitué. La jambe droite de son pantalon remontée à cause de la chaîne. Oui : je l’ai déjà vu désenfourcher la bécane, la poser contre le mur jaunasse du bureau de poste et pénétrer dans le bâtiment.

Je descends de ma guinde, les jambes raidies par l’immobilité prolongée. Me dirige vers la poste. Elle n’est pas très grande. Des fenêtres protégées de barreaux. Une porte vitrée de verre dépoli pour être honnête. Je coule un z’œillard par l’une des fenêtres. Riri est au guichet, qui demande sa communication. Son dos est agité de spasmes nerveux. Il grouille de rage, le grand fifils à Marie Tournelle. La postière lui fait un signe et il se précipite dans la cabine. Le moment est venu pour le fameux Santantonio de pénétrer à son tour. Entrée du gladiateur ! Sur un pupitre de plastique bleu, une vieille veuve pensionnée de peu rédige un mandat-carte de versement. La postière que j’avais crue est en réalité un jeune postier blond, à longs tifs dans une blouse bleue.

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18

Il est curieux de constater que San-Antonio fait une espèce de dyslexie littéraire, par instants, qui le conduit à remplacer certains mots par d’autres n’ayant pas le même sens, mais une analogie de consonance. Un psychanalyste consulté nous a fait observer que ces troubles se produisaient principalement en fin d’ouvrages. L’Éditeur.