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Il fait comme le cheval : il opine.

* * *

À les voir réunis, on jurerait deux frères. Je suis prêt à te parier un préservatif pour tête de nœud contre une montre éolienne qu’ils originent du môme pays normand, le vrai et le faux chanoine. Ces pommettes résultant de plusieurs générations vermillonnées au calva, ce regard bonnasse et matois à la fois, cette bouche jouisseuse en disent plus long qu’un incunable, sur leur lieu de provenance. Au reste, ça ne traîne pas. En moins de jouge, le chanoine lit le pedigree de Sa Majesté sur sa frime boursouflée dont les joues se parent d’une crépine violette.

Il pointe sur ce confrère équivoque un index désignateur et déclare, d’une voix sourde, pleine de passion contenue :

— Toi, tu es un Bérurier de Saint-Locdu-le-Vieux !

— Sifflet, sifflet, Votre Éminence, bagatouille le Monstrueux, stupéfait. Comment avez-vous-t-il deviné ?

Mais son terlocuteur continue :

— Vous aviez la ferme de Bonnegagne, tes parents et toi ?

— Exaguete, fait l’Abasourdi. Comment t’est-ce vous savonnez cela, Monseigneur ?

Et le brave chanoine, non sans un brin de théâtralité :

— Je suis un Dubraque-Mongros, du Vivier.

— Toi ! Vot’ Saint’té ! abasourde le Mastard. Si j’peuve comprend’ : ton père ce s’rait l’Ernest-Raz-le-cul, l’adjoint z’au maire d’Saint-Locdu-le-Petit ? Çui qui couchait av’c sa sœur ?

— Ce détail est toujours resté litigieux, assure les clés s’y astiquent, et comme mon père et ma tante son décédés, il est préférable de le passer désormais sous silence.

Bérurier en a les larmes aux yeux.

— Un pays ! murmure-t-il en considérant le prêtre. Note qu’on m’avait dit qu’t’avais fait curé en sortant d’la maison de correquetion, mais j’croiliais à des bobards…

— Ben non, tu vois, Alexandre-Benoît.

— Tu te rappelles mon prénom ? s’extasie l’Obéseur.

— Il était suffisamment célèbre dans la contrée : Alexandre-la-Grosse-Queue ! Les femmes, jeunes ou vieilles, baissaient le ton pour parler de tes prouesses. Les hommes te respectaient, même les matamores du pays ! Si je te disais qu’à cause de toi j’ai failli mal tourner ?

— Toive ? balbobèche Sandre. Ah ! vouive, c’est vrai qu’t’as été en taule d’redressement pour avoir estourbi Émilien Verdubout, l’facteur, dont tu voulais y chauffer sa p’tite sacoche des mandats. S’l’ment t’as pas cogné assez fort et c’con-là t’a r’connu. T’avais quel âge ?

— Presque dix-sept ! fait le chanoine.

Il est devenu grave et triste. Il murmure :

— Ma mère est morte de chagrin, ce qui m’a complètement transformé. Dès lors je me suis voué à Dieu et à mon prochain.

Une brillance passe dans son regard de saint homme.

Le Mammouth lui prend l’épaule.

— Les dessins du bon Dieu sont kif ceux de Picasso, assure-t-il à son « pays » : on y entrave que pouic, mais faut pas chercher à comprend’.

Ce renouage étant effectué entre les deux anciens amis, je juge opportun de me manifester et mets le prêtre au courant des derniers événements. Il sursaille en apprenant qu’une pénitente s’est fait estourbir dans son confessionnal.

— Seigneur ! dit-il sourdement. Sans doute était-ce moi qu’on voulait atteindre !

— Qu’est-ce qui vous le donne à croire, mon père ?

— N’ai-je pas été victime d’une agression ? demande-t-il en caressant le fort pansement qu’il porte sur la nuque.

Je ne réponds pas.

Alexandre-Benoît Bérurier (de Saint-Locdu-le-Vieux) laisse tomber :

— C’est-il qu’t’aurais des ennemis, mon révérend ?

L’interpellé le regarde, indécis :

— Sans m’en douter, mais j’en ai nécessairement puisque l’on m’a déjà tiré dessus dans le cimetière.

— Tu voives pas ce dont ça pourrait t’êt’ ?

— Absolument pas. Peut-être ai-je éveillé la haine d’un détraqué avec mes sermons à l’emporte-pièce ? J’appartiens au clergé-grande-gueule, Sandre. Des années d’une vie rude en compagnie de gars pas faciles ont sans doute déclenché des ressentiments dans un esprit vacillant. Il faut bien qu’il y ait quelque chose de ce genre, sinon à quoi rimeraient ces gestes homicides ? Où est la malheureuse dont vous me parlez ?

— Dans votre confessionnal où le directeur du Laboratoire de police technique procède aux constatations, dis-je.

Le curé se dresse :

— Je vais lui porter le secours de mon ministère !

— Ton ministère, tu peux te l’accrocher aux noix ! assure son pays ; dans l’état qu’est la pauvrette, c’est pas tes prières qui la ranimera.

5

À BON CHAT, BON RAT

— Vous la connaissez, mon père ? demandé-je en désignant la femme assassinée.

— Du tout, répond le chanoine. Je ne crois pas l’avoir vue, que ce soit à l’église ou ailleurs.

Le Rouquemoute s’est écarté pour laisser la place au prélat. Il a son visage tendu des instants de cogitation extrême. Il sait que c’est sur ses premières constatations que repose le départ de l’enquête. S’il se plante dans ses déduisances, il risque d’orienter la machine policière (comme on dit puis) sur une voie de garage. En ces moments, je m’abstiens de le questionner. Il convient de laisser ses méninges cheminer au trot attelé. Surtout ne pas l’ensuquer par des considérances tempestives.

Le Noirpiot chuchote :

— Les copains de l’ldentité judiciaire vont arriver.

— Il faut laisser le champ libre au Rouquemoute jusqu’à ce qu’il ait terminé ! tranché-je.

— O.K.

On fonctionne à cru, à bref. Pas besoin de longs discours. Nos cerveaux sont en train d’user de la matière grise à tout va. Pinaud s’est écarté de nous pour faire une promenade de santé dans l’église. Béru qui a limé trop fort Marie Couchetoilat la repentie, ronfle à l’écart sur un prie-Dieu, les jambes allongées. Il a les mains croisées sur sa bedaine et sa braguette est ouverte comme les portes d’un cinoche à la fin de la séance. Il loufe en dormant, par saccades intestinales qui donnent à craindre pour son bénoche.

Le brave chanoine vient s’abattre auprès de lui, mais à genoux. Il prie en force pour le salut de l’âme qui s’est envolée de ce confessionnal. C’est un gonzier bâti à oxyde de calcium et à roche sédimentaire meuble[1] que rien ne détourne de la voie qu’il s’est tracée après quelques errements de départ. Ce que j’appelle « une belle âme  ». Si Dieu existe, Il doit préférer ce genre de serviteur baroudeur aux culs soutanés évasifs qui glissent comme des ombres noires. Le « pays » du Mastard sent l’ail quand il rit et le civet de lapin quand il loufe ; mais il clame la bonne parole et engendre l’amour de la vie.

Je contemple les deux Normands de rencontre, si vrais, si intenses, si généreusement dévolus l’un et l’autre au salut de l’homme, mais sous des formes totalement différentes. Ils inspirent confiance, l’un en priant, l’autre en roupillant.

Le sacristain a disparu. L’église sent la chandelle et le vieux bois et puis, plus confusément aussi, l’encens.

Du temps s’écoule, qui n’a aucune réalité, donc aucune importance. Une lumière jaspée tombe des vitraux. Dieu n’a nul besoin de fastes, et cependant (d’oreilles) les hommes s’ingénient à Lui bâtir des édifices rivalisant de grandeur et de pompe, oubliant que les premiers offices se déroulaient dans des lieux très modestes. La plus immense des cathédrales, la plus gigantesque des mosquées n’assurent pas la gloire du Tout-Puissant. Lui, Il a la voûte céleste, la lumière du soleil, les chaînes montagneuses en guise de colonnes du temple. De l’étable de Bethléem à Saint-Pierre de Rome, que de malentendus entre Lui et nous !

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1

Façon san-antoniaise d’employer l’expression : bâti à chaux et à sable.