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Une vedette tangue sur la houle.

Blanche, pimpante, battant pavillon français, ce qui ne gâte rien.

Pendant que mes ravisseurs (c’est pas que je sois ravi, mais faut appeler les gens par leur fonction quand on n’est pas certain de leur nom) transfèrent Doro à bord, j’examine le barlu. Deux marins en maillot rayé composent l’équipage. L’un est grand, basané, avec des épaules d’athlète. L’autre est énorme et porte une barbe patriarcale. Sa casquette frappée d’une ancre est coquinement inclinée sur le côté et son brûle-gueule pollue l’atmosphère plus fortement qu’une rentrée de vacances sur une autoroute.

Schuppen et Moktar reviennent m’emparer.

— Je croyais que c’était votre maîtresse, mais en réalité c’est votre frangin ? demandé-je du plus aimablement de mon mieux à Von Truc.

Son œil glacial me décoche des promesses aussi nocives que celles que vient de me faire sa fausse frelote. Très sincèrement, je crois que ça va barder pour mon ventricule. Quant à mon matricule, n’en parlons pas !

Je gis sur le plancher de la vedette.

Doro continue de geindre et de suer son martyre dans le rouf. Moktar mange des bonbons, près de moi, en regardant s’éloigner l’île de Godmichey.

Le camarade Von Schuppen parlemente avec le grand marin basané, lequel est à la barre. Il fait un temps de grandes vacances, bien superbe, onctueux, tout bleu. Les mouettes nous font un brin d’escorte.

Je te jure que si je ne me trouvais pas dans cette fâcheuse situation, je me croirais en croisière. Ça doit venir des skis nautiques entassés dans le rouf. Sur la porte d’icelui, un écriteau de bois annonce : « Tarif des leçons ». Un haut-parleur est fixé au-dessus du gouvernail. Tu veux parier que von Machin a frété un barlu de ski-école pour rallier l’îlot ?

Le voici qui revient vers moi, précisément. Il prend place sur la banquette tendue de toile verte et se penche :

— Moktar ! appelle-t-il.

— Qu’i-ce qui c’est, patron ? demande le versatile employé, la bouche pleine et les lèvres sucrées.

— Amène les deux grosses pièces de fonte qu’on a descendues de la camionnette et attache-les aux jambes de monsieur le commissaire !

— Ti d’suite, patron !

Un flot de vilaine bile m’emplit la bouche. Pourquoi ai-je la certitude que ça n’est pas du bluff ? Mais de l’extrait de tout ce qu’il y a de plus sérieux.

Le méchant frangin veut se débarrasser de moi. En pleine mer. Dix kilos de ferraille à chaque peton, et bonsoir, commissaire, allez voir dans les profondeurs océanes si le commandant Coustaud y est ! Le Coustaud des Épinettes, ce sera moi. Pauvre loque aquatique, vite dépecée par les poissons. Moi qui les aime tant, ces chéris, avec un filet de citron après celui du pêcheur. Il me l’a promis, Dora, que je serai morcelé complètement, de bien partout, du dehors, du dedans, du pourtour…

Non, mais je m’insurge, moi.

Ça va où, ça !

Et Félicie, dis ? Tu l’imagines, attendant son fils, jusqu’à la fin de ses jours, se demandant ce qu’il lui est advenu ? Et la tendre Zoé ? Elle serait obligée d’épouser un autre julot ?

— Dites, Schuppen, on devrait bavarder un peu avant de commettre l’irréparable.

— Je n’ai rien à vous dire, riposte le digne homme d’un thon sans réplique.

Je suis persuadé du contraire, comme de bien tu te doutes, mais n’ai pas loisir d’entamer une polémique (Victor).

— Peut-être que moi, si, réponds-je. Tous les braves gens de l’île, ton frère-sœur en tête, voulaient absolument me faire dire ce que j’avais fait du cadavre d’un dénommé Merdanflak. Jusqu’ici j’ai su tenir ma langue, mais peut-être bien qu’en échange de ma peau je parlerais…

On a des surprises dans ce métier, mon plouk. Des sévérissimes.

Ainsi moi, belle âme, candide et généreuse, je crois qu’il va mordre à l’hameçon, changer d’attitude, du moins pour un instant.

Eh ben que tchi ! L’appât des passions ? Tiens, fume, comme dit le petit Manneken-Pis. Schuppen me vote un sourire qui fluctuate nettement dans la mergiture.

— Ne bluffez pas, mon vieux, c’est moi qui ai récupéré Merdanflak dans la malle arrière de votre auto et j’ai fait le nécessaire à son sujet !

Paf ! En pleine bouille. Descente en piqué de ce qui me subsistait de moral. Mon tonus tombe comme la feuille de vigne en marbre du scoubidou d’une statue grecque. Mais alors exactement. À s’y méprendre ! Finita la commedia ! Seule, ma mort sans trace intéresse ce vilain croquant. Je pourrais lui proposer : mes économies, ma brosse à dents, ma raquette de tennis, ma braguette de pénis, un racket d’alpiniste, une craquette de Venise ou de lui apprendre un tour de cartes en échange de ma vie sauve, tout ce que j’obtiendrais, en guise de réponse, c’est son sourire calamiteux.

Je suis foutu.

Et je dirais même mieux : perdu !

Ma carcasse va se changer en algues ondulatoires. Je vais servir de dessert aux poissons carnivores. Car c’est ça, le drame : les poissons maigres du vendredi sont carnivores, mon bel ami. Alors que l’éléphant, lui, est herbivore.

Moktar est en train de m’attacher ses gueuses aux pinceaux, le gueux, à l’aide de fil de fer, à cause que des cordes pourraient se détendre.

Le barlu file bon train, si tu me permets cette image plus hardie que Laurel. Il bondit sur le flot qu’aurait besoin d’être écumé et dans lequel je m’en vas courbouillonner d’ici quelques minutes.

Quelques mignons nuages filent dans l’azur dont se goinfre le soleil. Adieu beau ciel, adieu M’man, Zoé, Toinet, amis, vaux[12], lâches, torchons, cuvées. Adieu, volage coche enc… ! Adieu, vos larges cruchons trouvés. Adieu !

— Prends-le par les pieds, Moktar !

Tu penses : pas folle la guêpe. Le plus pesant c’est toujours pour le manar. Tu te figures, toi, que M. Obrecht assemble la guillotine ? Des clous : il appuie sur le bouton, un point c’est tout. C’est un homme qui s’est mis à l’index par vocation.

Me voici soulevé. Moktar s’adosse au plat-bord, comme ils disent dans la marine. S’arc-boute. Il geint sous l’effort. Et puis une détonation retentit et il pousse un cri. Bascule out, tandis que je m’écroule in.

— Z’avez assez suffisamment joués z’aux cons comme ça ! tonitrue une voix aimée, aussi tonique que truante. Les pattes en l’air, toi, le blondinet. Et tézigue qu’est au gouvernement, coupe la sauce qu’on s’écoute causer !

Je tourne la tête vers le noble organe.

J’avise le gros marin barbu, une pétoire monumentale en main. Elle fumasse encore comme un colombin fraîchement lâché dans la rosée du matin. De sa paluche libre, il arrache sa barbouze. Béru !

Tu l’as reconnu à sa voix, à sa voie expresse.

Il a un bide de neuf mois, le Mastar, sous son maillot rayé qui le fait ressembler à un tonneau. Il a une tête d’hilare. Content de lui. Et moi donc !

— Fais gaffe, lui crié-je.

Car faut te dire qu’il occupe une fausse position. Se trouvant entre le pilote et Schuppen, il lui est impossible de les « couvrir » l’un et l’autre simultanément. Il donne la préférence à mon tortionnaire. Et mal lui en prend car je vois le grand basané qui extirpe un revolver à barillet de sa fouille, en loucedé, tout en amorçant un brutal changement de cap pour essayer de déséquilibrer mon pote.

J’ai tout vu, tout pigé dans un éclair.

C’est une grave erreur de croire que les gros sont empotés. Regarde Jean Constantin, par exemple. Sur scène, une vraie gazelle. Il est tellement aérien, qu’en comparaison, Yvette Chauviré a l’air, quand elle danse, de jouer la grande scène du Salaire de la Peur, dans la boue.

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12

Car je sais plus d’un val.