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— En bagnole. Une vieille américaine toute délabrée, noire. Ils l’ont laissée sur le trottoir d’en face.

— Et puis ?

— Ils avaient chacun une sacoche à outils sur l’épaule. Ils sont entrés dans la mairie, j’ai cru qu’ils venaient réparer quelque chose…

— Tu les as vus repartir ?

— Non. Je faisais du patin, ils ont dû s’en aller pendant que j’étais au fond du parc.

— C’est tout ?

— C’est tout, vous croyez que ce sont eux qu’ont posé cette bombe ?

— Probablement.

— Comment te sens-tu, mon amour ?

Zoé est languissante, lointaine. Son regard brillant d’ordinaire s’est éteint. Elle s’obstine à contempler le plafond grisâtre sur lequel passent des ombres venues de la rue.

Elle chuchote, d’un ton à peine audible, un « ça va » auquel on ne croit pas.

Je m’installe à son chevet, intimidé par ce que j’ai à lui dire. Duraille de déballer le fond de sa pensée, parfois, à un être aimé. C’est toujours dans les fonds que la vase se dépose, les détritus… Les fonds de pensée sont pleins de boîtes vides, de cheveux, de poils de cul, de préservatifs usagés et surtout d’arrière-pensées.

— J’ai l’impression, Zoé, que tu ne m’as pas tout dit sur ton passé. Cette agression le prouve…

Je lui lis le message qui tant a intrigué le Vieux.

— Tu comprends pourquoi j’ai répondu « non » au maire ?

Elle ne répond rien. Ses yeux continuent leur glissade au plaftard. Mais à un frémissement de ses narines, je sais qu’elle m’écoute et enregistre mes paroles.

— On ne voulait pas que notre mariage s’accomplisse, chérie. On a employé les grands moyens pour l’empêcher. Il y a bien une raison, non ?

Elle se décide.

— Pourquoi cette raison viendrait-elle de mon fait et non du tien ?

Plof ! Bien balancé. Pertinent.

— Parce que, Zoé, j’ai beau me poser la question, je ne lui trouve pas de réponse.

— Je me pose aussi la question et ne trouve pas non plus de réponse, assure-t-elle.

Elle abaisse ses paupières, comme pour me signifier qu’elle désire rester seule. Je coule un mimi mouillé sur son front et me dirige vers la porte.

— Antoine !

Une voix lasse, infiniment.

— Chérie ?

— Non, rien…

Et me voilà parti, avec un grand trou effrayant au milieu du ventre, au milieu de l’âme… Quelque chose de désespérant qui, d’ailleurs, doit être du désespoir. Mais un désespoir obscur, confus, pas racontable…

Il continue de faire beau. C’est la sécheresse. La soif emplit les terrasses des cafés.

Je trouve un coin libre, près d’un vieux mironton bicentenaire qui lit le journal à l’aide d’une loupe. Il sucre comme le rétroviseur d’une moto roulant dans un chemin riche en nids de poules[2]. À part le titre du baveux, je crois pas qu’il puisse déchiffrer quoi que ce soit, malgré son télescope géant.

Le loufiat m’interroge du regard. Car, tu observeras, dorénavant, dans les bistrots de Pantruche, c’est la façon de s’adresser au client. Un sourcillement, pas plus. Et faut se grouiller d’annoncer la couleur, que sinon on te passe outre, te laisse quimper comme un vieux slip.

— Un demi négligé ! je lance au garçon.

Il me vote un double look façon Laurel et Hardy.

— Qu’est-ce ça signifie, négligé ?

— Ben… Sans faux col, quoi ! Vous arrivez de province ?

Piqué au chose, comment dit-on, déjà ? Oui : au vif, il hausse ses épaules de héron. Je sens que je vais l’attendre un bout de temps, ma bière. Aucune importance, je ne suis pas pressé. Faut que je gamberge. Le point ! C’est primordial dans notre job, de récapituler.

Je me dis qu’au cours de mon début d’enquête, quelque chose a fait tressaillir mon subconscient. Et ce quelque chose continue de frétiller dans les limbes de mon esprit insondable. Quoi ? Mystère… Quand ce petit déclic s’est-il produit ? Impossible de le déterminer. Je crois cependant que la chose a eu lieu au cours d’une conversation. Était-ce avec le mutiné 14–18 ? Le chef droguiste ? Son fils ? Avec Béru ? Le Vieux ? Zoé ? Je presse ma boîte à idées.

Faut lui exprimer son jus. Coûte que coûte retrouver cette phrase, voire ce simple mot peut-être, qui s’est planté dans mon cerveluche comme un poil d’artichaut entre deux dents…

Rien. Le vide… Du gris nébuleuse dans ma tronche surpeuplée.

Alors tout reprendre minutieusement… L’uni-jambage ? Je revis la scène, ses « r » roulés dans le Côtes du Rhône, ses jérémiades… Tout, quoi ? Je retrouve le mot à mot de l’entretien. Ensuite, je passe au maestro Raimineur…

Le loufiat pose devant moi un demi tellement crémeux que lorsque j’aurai éclusé la mousse, il ne restera pas suffisamment de liquide dans le verre pour humecter les fesses d’un timbre-poste. Vendetta ! C’est cruel un loufiat, quand ça s’y met. De plus, mon verre est festonné de rouge à lèvres violet (le pire). Dégueulasse ! On a toutes les indulgences pour son trou du cul, mais les traces des autres vous dégoûtent.

— Combien ? je demande au garçon.

— Trois francs.

Je lui tends une pièce de cinq francs.

— Gardez tout !

Voilà que je le bite pour la seconde fois. Il a un sursaut. Il s’attendait à ma râlerie, et au lieu de vitupérer je le couvre d’or. Y’a tellement de manières de dire merde à ses contemporains. Lui, il ignorait encore celle-là. Faut dire que les gens sont si radins, dans l’ensemble… Ils ne savent pas se payer de vrais plaisirs, bien délicats. Jouir à l’œil, c’est leur vice.

Bon, j’en étais au chef droguestre…

Et poum, ce que je cherchais avec tant d’acharnance, sans trop d’illuse, m’apparaît, comme sur un écran géant.

Le droguiste d’orchestre m’a dit sa conviction que l’attentat était l’œuvre de terroristes d’extrême-droite désireux de tuer le maire.

Voilà le truc qui me purule la gamberge. Cette réflexion badaude ouvre une perspective intéressante que je te vas expliquer avec ce brio dont tu me connais. Je me dis textuellement ceci : « Et si, en réalité, c’était le maire qu’on ait voulu tuer ? »

Tu piges ? Penses-y, mon gros lapin. Ça donne à réfléchir. Supposons que des gens aient voulu supprimer le maire d’une manière qui paraisse pratiquement accidentelle, c’est-à-dire en faisant passer sa mort pour la conséquence de l’attentat officiellement dirigé contre moi. Qu’on veuille buter un flic réputé, ça n’étonne personne. Les recherches, automatiquement, s’orientent dans une direction précise : la mienne ! Le maire passe pour une victime supplémentaire, si je puis dire. Donc, on n’a pas l’idée d’enquêter dans son entourage. Pour étayer cette assertion, il y a le fait que la bombe a éclaté dans sa direction. Oublie pas ! Dans sa direction et non dans la mienne ! C’était pas fortuit.

Mince, voilà qui change tout. Un vrai beurre !

Le vieillard à la loupe met sa loupe dans sa poche, la loupe, et la loupe choit.

Ne se brise pas.

Je ramasse cet instrument d’optique et le présente au bicentenaire. Cézigue me remercie et empoigne mon verre de bière. Lui, c’est le roman de Miro !

Au moment où j’ai relevé sa loupe ma joie impulsive est tombée. Car à cet instant, je me suis dit : « Si ces gens voulaient tuer le maire, pourquoi alors te remettre cet avertissement ? »

Mon château de cartes en Espagne s’écroule comme les raisonnements d’un ivrogne après l’Alka-Seltzer du matin. Mais tu connais l’homme en général, et l’homme san-antonien en particulier ? L’espoir chevillé au cœur. La résolution fervente de ne jamais perdre l’optimisme de vue. Un peu de spleen, pour empêcher ta cervelle de bronzer au soleil de la confiance en soi, des périodes de doute pour s’assouplir l’égoïsme. Et puis hop, hop ! À nouveau tu raccroches à l’euphorie, mon mec. Chaleur, bonheur, certitude de vaincre. Le bonheur n’étant que l’idée qu’on s’en fait, fais-toi toujours des idées heureuses. Ton destin c’est surtout toi, n’attends jamais que les autres s’en chargent.

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2

Comme ils me disent tous : « Je me demande où je vais chercher tout ça. »