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Je crois le capter à peu près, un peu comme on recherche sur les traits d’une vieillarde endommagée sa frimousse de jeune fille.

Le gros handicap, c’est que j’ignore tout de lui, ou presque. Il a fini par surgir à ma connaissance au cours de mes errements. Ancien officier blessé pendant la guerre dans les Philippines, se convertit ensuite dans les affaires diplomatiques occultes et devient même important à un certain moment de sa carrière ; mort dans un accident d’avion. Cet accident le visait-il ? Hypothèse à ne pas écarter, le nombre de gens qui sont morts pour s’être simplement trouvés dans la même charrette qu’un type à liquider !…

Son pied articulé recelait quelque chose de capital : des documents, pour user du mot magique qui couvre tout et ouvre les lourdes à l’aventure. Documents ! Qui lui a piqué son panard bidon ? France ou les Coréens ? J’inclinerais plutôt à penser que ce sont les Jaunes. Stocky, ou plutôt son cadavre, s’est trouvé à la disposition de P. J. France. Ce dernier a eu tout le temps de prélever le nougat articulé du défunt. Pas besoin de rouvrir sa tombe ! Donc, si les Coréens se sont livrés avant moi à cette macabre opération, ils ont dû être bités puisque P. J. France était passé par là.

« Bien vrai, M. Stocky, vous ne voulez rien me dire ? »

Le coyote continue de japper dans les confins. Il a les crocs, l’ami. Le mouton l’empêche de roupiller. Mais le mouton dort, repu, car lui est plein d’herbe. Les hommes le nourrissent et le mettent à l’abri du coyote pour pouvoir le bouffer eux-mêmes. Pauvre coyote aux abois (ou plutôt au jappage) sous la lune texane.

Pauvre Sanantonio qui joue Hamlet (au lard) au bord d’un trou de mort. Et qui veut piger, mais qui ne pige pas. Qui est bloqué, merdiquement. Pourtant, il a de belles méninges, Antoine, non ? Pourquoi sont-elles boueuses, cette nuit ? Elles grippent piteusement. La gamberge s’enclenche mal. Et pourtant je possède toutes les données fondamentales, dirait un politicard. Ils aiment bien ces deux mots chez les marchands de promesses : données fondamentales. Le bon populo gobe bien, ça l’impressionne, kif les enzymes suractivés ; comme quoi fallait continuer de dire la messe en latin ! Quand je les vois en grande déconnance, tous, les bras m’en choient. Un Giscard élu à une poignée de voix et qui s’empresse d’abaisser le droit de vote à dix-huit ans pour être bien certain de ne pas être réélu, le clergé en rémoulade qui dit la messe en français, pour convaincre les fidèles que c’était seulement l’idée qu’ils s’en faisaient ! Y a un grand souffle suicidaire de par le monde, moi je dis. On était déjà des équilibristes, et voilà qu’on refuse le balancier ! On veut y aller, quoi. Où ça ? On l’ignore. Mais y aller en vitesse. Le grand tourment universel, c’est le besoin de plonger. On est devenus des défenestrés ; les plus lourds passent devant les plus légers. En les doublant ils leur lancent, gentiment : « Alors, ça tombe ? » Et les autres répondent, guillerets : « Ça tombe, vous voyez. » « Bon écrasement ! » « Vous de même ! » C’est con des parachutistes sans parachute.

Oui, les données fondamentales, pour t’en revenir, je les ai à dispose.

Stone-Kiroul annonce aux Britannouilles qu’il va leur écrémer un truc formide. Il se fait arrêter presque immédiatement. Je sais, je t’ai déjà mouliné tout ça ; on boléroderavelle en couronne, mais faut ! Il s’évade prétendument, se love prétendument dans le train d’atterrissage d’un Tupolev, en meurt, mais laisse un message rédigé avec une écharde de bois en guise de plume et son sang en guise d’encre. Je retrouve ma blague du monsieur nu dans le placard. Si tu crois vraiment qu’il a échappé au Guépéou, qu’il a pu gagner l’aéroport de Moscou et se nicher dans un zinc, moi j’attends le métro ! Donc… Donc… Oh ! merde ! Ça y est, bouge pas, je pige…

Oui, le voile se déchire, comme disait Isadora Duncan dans sa belle torpédo[8].

Un élément fondamental, issu des données fondamentales.

Les Russes ont eux-mêmes organisé l’évasion, le départ, la rédaction du message. Espéraient-ils abuser l’Intelligence Service ? Impossible. Alors ? Eh bien, alors, tout cela signifie que Russes et Anglais étaient de connivence. Il s’agit d’une énorme machination réalisée en commun. Pour abuser qui ? Les Asiatiques ? Probable. Fatal ! Et on m’a parachuté dans l’affaire pour donner de la substance à la chose, faire accroire aux Jaunes que l’I.S. prenait la chose à cœur et mordait à l’hameçon.

En somme, tout s’est passé comme si, au fil des choses, on avait voulu amener les Coréens à venir chercher le pied articulé de Stocky dans sa tombe.

Tant pis pour les meurtres, qu’importe qu’on trucide San-Antonio et que le chef du Renseignement suisse laisse sa peau dans l’aventure (il possédait un dossier P. J. France, ne l’oublie pas.) Sans doute, le bon général Blackcat s’est-il servi du colonel Müller comme il s’est servi de moi, afin d’étoffer un dossier qui n’existait pas. Et, pour une raison « X » (les meilleures), les choses ont tourné plus mal pour Müller que pour moi. Le grain de sable. L’accident imprévu. Il ne s’est pas trouvé un connard de Jean Rameau pour déguster le potage à sa place, Müller.

Le chat et la souris. C’est la bande des Asiatiques qui a été manipulée par les Ruscofs et les Rosbifs. Elle s’est intercalée entre deux antagonistes supposés pour tenter, à tout prix, de tirer les marrons du feu. Et c’est ce qu’on voulait qu’elle fît ! Les marrons, c’est, en l’occurrence, une prothèse. Donc, à l’heure où je gamberge assis sur cette tombe, Russes et Britanniques ont gagné le canard. Ils sont parvenus à leurs fins. P. J. France appartient à quelle équipe ? La blanche et rouge ou la jaune ? A moins qu’il ne soit le gardien de but d’une troisième ?

J’expectate donc sur ces derniers points, me demandant si je dois plier mes cannes à pêche et rentrer chez moi, ainsi que je l’ai promis à maman, ou bien si je persévère encore dans la bulle de savon et la cimetière party by night.

Une dernière fois j’essaie d’interviewer le défunt.

Sa tête mal ravaudée, histoire d’escamoter ses plus cruelles abîmures, est énigmatique. Je note qu’il porte les cheveux en brosse coupés assez court. Il est brun très foncé, mais ses favoris sont presque blancs de même que la barbe qui a dû pousser depuis sa mort. Dame, un héros de la dernière, ça traîne du carat. Le temps galope, emporte tout. Encore vergif d’avoir des tifs à plus de soixante-cinq balais. Il se teignait, le valeureux militaire en retraite, pour tenter d’enrayer l’irréparable outrage. Ça me rappelle quand, mouflet, je freinais mon vélo dépenaillé en frottant le pied contre la roue avant dans les descentes. Que de bûches dont ma viande ne se souvient plus mais qui ont éraflé à jamais ma mémoire !

Pour quelle raison Russes et Britiches ont-ils tout mis en œuvre, diaboliquement, pour que les Jaunes (couleur du souci) viennent récupérer ce pied mécanique dans une tombe ? Stocky a-t-il servi de bouc émissaire ? Essayons de piger le développement de la manœuvre, vu des plus hauts sommets.

Tout s’est déroulé comme une ténébreuse affaire opposant les Soviétiques et les sujets (de mécontentement) de Sa Grassouillette Majesté Mme Deux. Il convenait en effet de donner l’impression à l’équipe canari d’une bataille de l’ombre entre les services secrets de ces deux nations. Va-t’en même savoir si le tireur de l’autoroute ne jouait pas dans l’équipe anglaise ? Toujours est-il que la monumentale feinte a parfaitement réussi et que tout s’est déporté sur le cadavre de Stocky.

Et me voici tout égrotant au bord de sa tombe, à contempler sa triste dépouille dans le faisceau d’une lampe électrique. Dis, je ne vais pas attendre le chant du coq ?

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8

Pour la compréhension de la boutade, il faut savoir que la fameuse danseuse est morte étranglée par son écharpe trop longue, dont une extrémité s’était prise dans les rayons d’une roue de sa voiture.

Le masseur de l’Editeur