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Chapitre VIII

Portrait de Bonaparte

Si Napoléon n’eût pas fait la paix de Campo-Formio, il pouvait anéantir l’Autriche et épargner à la France les conquêtes de 1805 et 1809[16]. Il paraît que ce grand homme n’était à cette époque qu’un soldat, entreprenant, doué d’un génie prodigieux, mais sans aucun principe fixe en politique. Agité de mille pensées ambitieuses, il n’avait aucun plan arrêté pour satisfaire son ambition.

«Du reste il était impossible, disait M. de Merveldt, d’avoir avec lui dix minutes de conversation, sans s’apercevoir que c’était un homme à grandes vues et d’une étonnante capacité.»

«Son langage, ses idées, ses manières, disait Melzi, tout chez lui était frappant et original. Dans une conversation, comme à la guerre, il était fertile, plein de ressources, rapide à discerner et prompt à attaquer le côté faible de son adversaire. D’une rapidité de conception étonnante, il devait peu de ses idées aux livres, et à l’exception des mathématiques, il n’avait fait que peu de progrès dans les sciences. De toutes ses qualités, continuait Melzi, la plus remarquable, c’était l’étonnante facilité de concentrer à volonté son attention sur un sujet quelconque et de l’y tenir fixée plusieurs heures de suite sans relâche et comme attachée jusqu’à ce qu’il eût trouvé le meilleur parti à prendre dans les circonstances. Ses projets étaient vastes, mais gigantesques, conçus avec génie, mais quelquefois impraticables; ils étaient abandonnés assez fréquemment par humeur, ou rendus impraticables par sa propre impatience. Naturellement emporté, décisif, impétueux, violent, il avait l’étonnant pouvoir de se rendre charmant, et, par des déférences bien ménagées et un enjouement flatteur, de faire la conquête des gens qu’il voulait gagner. Quoique, par habitude, secret et réservé, dans un accès d’emportement, son orgueil découvrait quelquefois les projets qu’il lui importait le plus de tenir cachés. Il est probable que jamais il n’ouvrit son âme par suite de sentiments tendres[17]

Au reste, le seul être qu’il ait jamais aimé est Joséphine et elle ne le trahit jamais. Je ne crois pas qu’il dût peu de ses idées aux livres. Il avait peu d’idées littéraires, voilà ce qui aura fait illusion au duc de Lodi, homme fort instruit en littérature et, par conséquent, un peu faible.

La balle qui me tuera portera mon nom, était une de ses phrases habituelles. J’avoue que je ne la comprends pas. Tout ce que j’y vois c’est une première nuance de ce fatalisme si naturel aux hommes exposés tous les jours aux boulets ou à la mer.

Cette âme si forte était liée à un petit corps pâle, maigre et presque chétif. L’activité de cet homme et sa force à soutenir les fatigues avec un physique si mince paraissaient à son armée sortir des bornes du possible. Ce fut un des fondements de l’incroyable enthousiasme qu’il inspirait au soldat[18].

Chapitre IX

Son retour en France

Tel était le général en chef Bonaparte à son retour en France, après la conquête de l’Italie; du reste l’objet de l’enthousiasme de la France, de l’admiration de l’Europe et de la jalousie du gouvernement qu’il avait servi. Il fut reçu par ce gouvernement soupçonneux avec toutes les démonstrations de la confiance et de la considération, et nommé, même avant son arrivée à Paris, l’un des commissaires plénipotentiaires au congrès réuni à Rastadt pour la pacification générale. Il se débarrassa bien vite d’un rôle qui ne lui convenait pas. Le Directoire, qui se voyait à la tête d’une république jeune et forte, entourée d’ennemis affaiblis, mais irréconciliables, était trop sage pour vouloir la paix. Bonaparte se débarrassa également du commandement de l’armée d’Angleterre auquel il fut nommé. Le Directoire n’était pas assez fort pour conduire à bien une telle entreprise. Cependant le jeune général voyait, et tout le monde voyait aussi, qu’il n’y avait pas, en France, de place qui pût lui convenir. La vie privée même était pour lui pleine de dangers; sa gloire et toute sa manière d’être avaient quelque chose de trop romanesque et de trop entraînant. Ce moment de l’histoire fait l’éloge de la probité des Directeurs et montre quel chemin nous avons fait depuis les temps de Marie de Médicis. Souvent, à cette époque, et dans d’autres moments de découragement, Bonaparte désira avec passion le repos de la vie privée. Il croyait trouver le bonheur à la campagne[19].

Chapitre X

Expédition d’Égypte

En 1796, on lui avait fait passer un un projet pour l’invasion de l’Égypte; il l’examina et le renvoya au Directoire avec son avis. Dans son embarras mortel, le Directoire se souvint de cette idée et lui proposa le commandement de l’expédition. Refuser une troisième fois les offres du pouvoir exécutif, c’était donner lieu de croire qu’on tramait quelque chose en France, et très probablement, se perdre. D’ailleurs, la conquête de l’Égypte était faite pour éblouir une âme élevée, pleine de plans romanesques et passionnée pour les entreprises extraordinaires. «Songez que, du haut de ces Pyramides, trente siècles nous contemplent», disait-il quelques mois plus tard à son armée.

Comme toutes les guerres de l’Europe, cette agression était peu fondée en justice. Les Français étaient en paix avec le Grand Turc, souverain nominal de l’Égypte, et les beys, maîtres réels du pays, étaient des barbares qui, ne connaissant pas le droit des gens, ne pouvaient guère y manquer. Au reste, des considérations de cette nature n’étaient pas faites pour avoir une grande influence sur les déterminations du jeune général qui, d’ailleurs, croyait peut-être être le bienfaiteur du pays, en y portant la civilisation. L’expédition mit à la voile, et, par un bonheur qui doit faire faire bien des réflexions, il put arriver devant Alexandrie après la prise de Malte, sans rencontrer Nelson.

Chapitre XI

Suite du même sujet

On ne doit pas s’attendre à trouver ici cette suite de grandes actions militaires qui soumirent l’Égypte à Bonaparte. Les batailles du Caire, des Pyramides, d’Aboukir, ont besoin pour être comprises, d’une description de l’Égypte, et il faudrait donner une idée du courage sublime des Mamelouks. La plus grande difficulté était d’apprendre à nos troupes à leur résister[20].

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[16]

Prudence.

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[17]

Embarrassé, embrouillé à refondre.

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[18]

On trouve dans le carton R. 292 de la bibliothèque de Grenoble cette curieuse note sur les portraits de Napoléon Bonaparte:

«Presque tous ceux que j’ai vus de lui sont des caricatures. Beaucoup de peintres lui ont donné les yeux inspirés d’un poète. Ces yeux-là ne vont pas avec l’étonnante capacité d’attention qui est le caractère de son génie. Il me semble que ces yeux expriment un homme qui vient de perdre ses idées ou un homme qui vient d’avoir la vue d’une image sublime. Sa figure était belle, quelquefois sublime, mais c’était parce qu’elle était tranquille. Ses yeux seuls avaient des mouvements rapides et beaucoup de vivacité. Il souriait souvent, ne riait jamais. Je l’ai vu une seule fois transporté de plaisir: ce fut après avoir entendu Crescentini chanter l’air: Ombra adorata aspetia. Les moins mauvais portraits sont de Robert Lefèvre et de Chaudet: les plus mauvais de David et de Canova.»

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[19]

Ici prendre deux pages à Mme la Baronne [de Staël].

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[20]

Description de l’Égypte dans Volney; histoire militaire: le faible Martin, Berthier, Denon, Wilson, alors bien digne d’être un des écrivains de l’autorité.