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Telles sont à peu près les dernières paroles qu’il prononça avant que sa petite flotte jetât l’ancre dans le golfe de Juan. Ces derniers mots eurent l’air un peu plus soignés. Ce fut comme une espèce d’adresse adressée à ses compagnons, auxquels peut-être il n’aurait plus le temps de parler au milieu des hasards qu’on allait rencontrer.

Le 28 février, Antibes fut en vue depuis midi, et le 1er mars, à trois heures, la flottille jeta l’ancre dans la baie. Un capitaine et vingt-cinq hommes furent envoyés pour s’emparer des batteries qui pouvaient dominer le point du débarquement. Cet officier voyant qu’il n’y avait pas de batterie, prit sur lui de marcher sur Antibes. Il y entra et fut fait prisonnier. À cinq heures du soir les troupes prirent terre sur la côte voisine de Cannes. L’empereur fut le dernier à quitter le brick. Il prit quelque repos dans un bivouac qu’on lui prépara au milieu d’une petite prairie environnée d’oliviers, près de la mer. Les paysans montrent aujourd’hui aux étrangers la petite table sur laquelle il prit son repas[213].

L’empereur appela Jermanowski et lui demanda s’il savait combien on avait emmené de chevaux de l’île d’Elbe. Le colonel lui répondit qu’il n’en savait rien; que pour lui, il n’en avait pas embarqué un seul. «Fort bien, dit Napoléon; j’ai amené quatre chevaux; divisons-les. Je crois que j’en dois avoir un. Comme vous commandez ma cavalerie, vous aurez le second. Bertrand, Drouot et Cambronne auront les deux autres.»

Les chevaux avaient été débarqués un peu plus bas, sur le rivage. On quitta le bivouac et Napoléon avec son état-major allèrent à pied au lieu où ils étaient. L’empereur marchait seul, interrogeant quelques paysans qu’il rencontra. Jermanowski et les généraux suivaient, portant leurs selles. Quand on fut arrivé aux chevaux, le grand maréchal Bertrand refusa d’en prendre un; il dit qu’il marcherait à pied. Drouot en fit autant[214]. Cambronne et Molat montèrent à cheval. L’empereur donna au colonel Jermanowski une poignée de napoléons en lui disant de se procurer quelques chevaux de paysans. Le colonel donnant aux paysans tout ce qu’ils demandaient, en acheta quinze. On les attela à trois pièces de canon amenées de l’île d’Elbe et à un canon que la princesse Pauline avait donné à son frère. On vint annoncer le mauvais succès d’Antibes. «Nous avons mal commencé, dit l’empereur, nous n’avons maintenant rien de mieux à faire que de marcher aussi vite que nous pourrons et de gagner les passages des montagnes avant que la nouvelle de notre débarquement y soit arrivée.» La lune se leva et Napoléon avec sa petite armée se mit en marche à onze heures du soir. On marcha toute la nuit. Les paysans des villages à travers lesquels on passait, ne disaient rien; ils levaient les épaules et branlaient la tête quand on leur disait que l’empereur était de retour. À Grasse, ville de 6.000 âmes, que l’empereur traversa, on croyait que des pirates avaient débarqué et tout était en alarmes. Les boutiques et les fenêtres étaient fermées et la foule qui s’était rassemblée dans les rues, nonobstant la cocarde nationale et les cris de Vive l’empereur des soldats, les laissaient passer sans le moindre signe d’approbation ou de désapprobation. Ils firent halte pour une heure sur un coteau au delà de la ville. Les soldats commencèrent à se regarder entre eux avec incertitude et tristesse. Tout à coup, ils virent une troupe de gens de la ville qui s’avançaient vers eux avec des provisions et aux cris de: Vive l’empereur.

Depuis ce moment[215] les paysans se montrèrent satisfaits que Napoléon eût débarqué et sa marche fut plutôt un triomphe qu’une invasion. On laissa à Grasse les canons et la voiture et comme les routes furent fort mauvaises dans le cours de cette première marche qui fut de vingt-cinq lieues, Napoléon marchait fréquemment à pied au milieu de ses grenadiers. Lorsqu’ils se plaignaient de leurs fatigues, il les appelait ses grondeurs; eux, de leur côté, quand il lui arrivait de tomber, riaient tout haut de sa maladresse. Ils arrivèrent dans la soirée du deux au village de Seranon à vingt lieues de Grasse. Dans cette marche, le nom de Napoléon parmi les soldats était: notre petit tondu, et Jean de l’épée. Il entendait fréquemment ces noms répétés à demi-haut comme il gravissait les montées au milieu de ses vétérans. Le 3, il coucha à Barrème, et dîna à Digne le 4 mars. «Ce fut ou à Digne ou à Castellane, nous dit le colonel, que Napoléon entreprit de persuader de crier: Vive l’empereur au maître de l’auberge dans laquelle il s’arrêta. Cet homme refusa positivement et cria: Vive le roi. Au lieu d’être en colère, Napoléon le loua de sa loyauté et lui demanda seulement de boire à sa santé, ce à quoi l’hôte accéda volontiers.»

À Digne, les proclamations[216] à l’armée, au peuple français furent imprimées et répandues dans le Dauphiné avec tant de rapidité que sur sa route, Napoléon trouva les villes et les villages prêts à le recevoir. Jusqu’à ce moment cependant, il n’avait été joint que par un seul soldat. Ce soldat fut rencontré sur la route par le colonel Jermanowski qui entreprit d’en faire un prosélyte. Comme le colonel lui disait que l’empereur allait arriver, le soldat se mit à rire de tout son cœur: «Bon, dit-il, j’aurai quelque chose à dire ce soir à la maison.» Le colonel eut beaucoup de peine à lui persuader qu’il ne voulait pas rire; alors le soldat lui dit: «Où comptez-vous dormir cette nuit?» et en apprenant le nom du village: «Hé bien! dit-il, ma mère habite à trois lieues d’ici, je m’en vais lui dire adieu et je serai avec vous ce soir.» Le soir en effet le grenadier frappa sur l’épaule du colonel et ne fut content que quand celui-ci eut promis qu’il dirait à l’empereur que Melon le grenadier était venu partager la fortune de son ancien maître.

Le 5, Napoléon passa la nuit à Gap où il fut gardé seulement par dix cavaliers et quarante grenadiers. Le général Cambronne occupa le même jour avec quarante grenadiers le pont et l’ancienne forteresse de Sisteron[217]; mais Melon était toujours la seule recrue qu’on eût faite, de sorte qu’à Saint-Bonnet et dans d’autres villages, les habitants voulaient sonner le tocsin et se lever en masse pour accompagner la petite armée. Ils obstruaient les routes et souvent empêchaient la marche pour voir et toucher l’empereur qui quelquefois marchait à pied.

Les routes étaient exécrables à cause de la neige fondante. Le mulet chargé d’or glisse dans un précipice. L’empereur en paraît très fâché. On passe deux heures à essayer de le retirer. À la fin, pour ne pas perdre de temps, l’empereur dut l’abandonner: les paysans en profitèrent au printemps.

Le 6, l’empereur coucha à Gap et le général Cambronne avec son avant-garde de quarante hommes à La Mure. Là, l’avant-garde de la garnison de Grenoble, forte de six cents hommes, refusa les pourparlers avec le général Cambronne. Le colonel Jermanowski, étant à l’extrême avant-garde, trouva un défilé près de Vizille, occupé par une troupe qui avait un drapeau blanc. Il voulut parler, mais un officier s’avançant vers lui, lui cria: «Retirez-vous, je ne puis avoir aucune communication avec vous. Gardez votre distance, ou mes hommes vont faire feu.» Le colonel chercha à le gagner en lui disant qu’il aurait à parler à l’empereur Napoléon et non à lui; mais l’officier continua à se servir de paroles menaçantes et Jermanowski alla faire part à l’empereur de ce mauvais succès. Napoléon lui dit en souriant: «S’il en est ainsi, il faut que j’essaye ce que je pourrai faire moi-même.» Il mit pied à terre et ordonna à environ cinquante de ses grenadiers de le suivre avec leurs armes renversées; il marcha tranquillement jusqu’au défilé où il trouva un bataillon du 5e de ligne, une compagnie de sapeurs et une de mineurs, en tout 7 à 800 hommes. L’officier commandant continuait à vociférer, souvent contre l’empereur lui-même, disant: «C’est un imposteur, ce n’est pas lui.» De temps en temps cet officier réprimandait ses troupes, leur ordonnant de faire feu. Les soldats étaient silencieux et immobiles. Il sembla un instant lorsqu’ils virent approcher la troupe de Napoléon, qu’ils voulaient coucher en joue leurs fusils. Napoléon fit arrêter ses grenadiers, s’avança tranquillement et tout seul jusqu’au bataillon. Quand il fut très près de la ligne, il s’arrêta court, jeta sur eux un regard tranquille et, ouvrant sa redingote, s’écria: «C’est moi, reconnaissez-moi. S’il y a parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, qu’il fasse feu, voilà le moment.»

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[213]

27 décembre 1819, Hobhouse, 121.

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[214]

Hobhouse, 122, 123, 180.

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[215]

Hobhouse, 124.

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[216]

Hobhouse, 125.

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[217]

Hobhouse, 126.