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Ils furent vaincus en un instant et au milieu des cris redoublés de Vive l’empereur, se précipitèrent dans les bras des soldats de la garde[218].

Un peu avant que les soldats du cinquième s’ébranlassent, Napoléon s’approcha d’un grenadier qui avait l’arme présentée et, le prenant par une de ses moustaches, lui dit: «Et toi, vieille moustache, n’as-tu pas été avec nous à Marengo?»

Tel est le récit simple d’une de ces actions qui, dans tous les siècles et dans tous les pays, montrent aux nations les hommes pour lesquels elles doivent marcher et agir.

Les compagnons de Napoléon regardèrent le mouvement de cette troupe de sept cents hommes comme décisif. Ils virent dans cet événement que l’empereur ne s’était pas trompé et que l’armée était toujours à lui[219]. Les nouvelles troupes prirent la cocarde tricolore, se rangèrent autour des aigles de l’armée de l’île d’Elbe et entrèrent avec elles à Vizille, au milieu des cris de joie des habitants. Ce bourg a toujours marqué par son patriotisme. On peut dire que c’est là qu’a commencé la Révolution française et la liberté du monde. C’est au château de Vizille qu’eut lieu la première assemblée des États du Dauphiné.

En avançant vers Grenoble, le colonel Jermanowski fut joint par un officier qui arrivait ventre à terre et qui lui dit: «Je vous salue de la part du colonel Charles Labédoyère.»

Ce jeune colonel parut bientôt à la tête de la plus grande partie de son régiment, le 7e de ligne formé des débris du 112e régiment et de plusieurs autres. À quatre heures après-midi, le colonel s’était échappé de Grenoble; à une certaine distance il tira une aigle de sa poche, la plaça au bout d’une perche et l’embrassa devant son régiment qui cria aussitôt: Vive l’empereur! Il donna alors un coup de couteau dans un tambour qui était plein de cocardes tricolores qu’il distribua à son régiment. Mais le général Marchand qui resta fidèle au roi réussit à faire rentrer dans Grenoble une partie du régiment. La garnison de cette ville avait été augmentée du 11e régiment de ligne et d’une partie du 7e envoyés de Chambéry. Cette garnison était composée en outre de 2.000 hommes du 3e régiment de pionniers, deux bataillons du 5e de ligne et du 4e d’artillerie, précisément le même régiment dans lequel Napoléon avait obtenu une compagnie, vingt-cinq ans auparavant.

Grenoble est une mauvaise place que l’on ne conserve que pour approvisionner d’artillerie la chaîne des Alpes, au milieu desquelles elle se trouve placée. Elle n’a qu’un mur terrassé du côté de la plaine, haut d’une vingtaine de pieds avec un petit ruisseau qui coule au devant. C’est avec cette fortification ridicule que, quelques mois après, les habitants livrés à eux-mêmes ont tué douze cents hommes à l’armée piémontaise toute composée de soldats de Napoléon.

Lorsque ce grand homme s’en approcha le 7 mars, toute la garnison était rangée sur le rempart terrassé au milieu duquel est pratiquée la porte de Rome qui répond au chemin de Vizille[220]. Les canons étaient chargés, les mèches allumées, la garde nationale était rangée derrière la garnison pour lui servir de réserve.

La porte de Bonne fut fermée à huit heures et demie. Comme Napoléon entrait dans le petit faubourg de Saint-Joseph, Jermanowski se présenta à la porte de Bonne à la tête de huit lanciers polonais. Le colonel demanda les clés; on lui répondit qu’elles étaient chez le général Marchand. Le colonel parla aux soldats qui ne répondaient pas. Napoléon arriva bientôt sur le petit pont qui est devant les portes. Il resta là assis sur un chasse-roue plus de trois quarts d’heure.

Le général Marchand devait se porter sur le rempart voisin à cinquante pieds au plus de la personne de l’empereur et lui tirer dessus lui-même. Il pouvait se faire seconder par vingt gentilshommes. Il n’y avait pas possibilité de manquer Napoléon. Une fois mort, tout le monde eût abandonné ce parti. Si les partisans craignaient mal à propos d’être écharpés en tirant, ils pouvaient se placer dans la maison d’un nommé Eymar qui donne sur le rempart et, de l’autre côté, sur la partie du rempart qui est renfermée dans la caserne. Le fait est que dans ce moment de trouble extrême, tous les desseins hardis eussent réussi. On pouvait avec la même facilité placer vingt gentilshommes dans les maisons du faubourg Saint-Joseph, devant lesquelles Napoléon passa, à quinze pieds des maisons.

Après trois quarts d’heure de pourparlers et d’incertitude, la garnison, au lieu de faire feu, cria: Vive l’empereur. Comme les portes ne s’ouvraient pas, les habitants du faubourg apportèrent des poutres et, aidés par les habitants de la ville, enfoncèrent cette porte qui se trouva très solide, Grenoble ayant été sur le point de soutenir un siège un an auparavant. Comme la porte tombait, les clés arrivèrent. Les huit lanciers trouvèrent en entrant une foule d’habitants qui se précipitaient avec des torches allumées au devant de Napoléon qui, un instant après, entra à pied et seul à vingt pas en avant de ses gens.

Plusieurs officiers, gens de tête, étaient allés de Grenoble au devant de Napoléon. S’il n’avait pas réussi à la porte de Bonne, ils avaient tout préparé pour lui faire passer l’Isère près de la porte Saint-Laurent, qui est au pied de la montagne, et sur la montagne dite de la Bastille, le rempart n’est qu’un simple mur de jardin qui tombe de toutes parts.

Ces officiers donnèrent le conseil à l’empereur d’empêcher que ses soldats ne tirassent un seul coup de fusil, cela pouvant donner l’apparence de gens vaincus à ceux qui le joindraient. Peut-être la moitié de l’armée eût tenu ferme par point d’honneur.

La foule se jeta autour de lui. Ils le regardaient, ils saisissaient ses mains et ses genoux, baisaient ses habits, voulaient au moins les toucher; rien ne pouvait mettre un frein à leurs transports. Napoléon n’était pas le représentant de son propre gouvernement, mais d’un gouvernement contraire à celui des Bourbons. On voulait le loger à l’hôtel de ville, mais il choisit une auberge tenue par un ancien soldat de son armée d’Égypte, nommé M. Labarre. Là son état-major le perdit absolument de vue; au bout d’une demi-heure Jermanowski et Bertrand réussirent enfin, en employant toutes leurs forces, à pénétrer dans la chambre où ils le trouvèrent environné de gens qui paraissaient fous, tant l’enthousiasme et l’amour leur faisaient oublier les plus simples égards qu’on emploie ordinairement pour ne pas étouffer les gens. Ses officiers parvinrent pour un moment à faire évacuer la chambre; ils plaçaient des tables et des chaises derrière la porte pour prévenir une seconde invasion, mais ce fut en vain. La foule parvint à entrer une seconde fois, et l’empereur resta deux heures, perdu au milieu d’eux, sans être gardé par le moindre soldat. Il pouvait mille fois être mis à mort si, parmi les royalistes ou les prêtres, il y avait eu un seul homme de courage. Peu après, une foule de peuple apporta la porte de Bonne sous les fenêtres de son auberge. Ils s’écriaient: «Napoléon, nous n’avons pas pu vous offrir les clés de votre bonne ville de Grenoble, mais voici les portes.»

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[218]

Hobhouse, 126–127.

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[219]

Hobhouse, 128.

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[220]

Hobhouse, 129.