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Chapitre XIX

État de la France au 18 brumaire

Le gouvernement d’une douzaine de voleurs lâches et traîtres, fut remplacé par le despotisme militaire; mais, sans le despotisme militaire, la France avait, en 1800, les événements de 1814 ou la Terreur.

Napoléon avait maintenant le pied à l’étrier, comme il disait dans ses campagnes d’Italie; et il faut convenir que jamais général ou monarque n’a eu d’année aussi brillante que le fut, pour la France, et pour lui, la dernière du XVIIIe siècle.

En arrivant à la tête des affaires, le premier consul trouva les armées de la France défaites et désorganisées. Ses conquêtes en Italie étaient réduites aux montagnes et à la côte de Gênes; la plus grande partie de la Suisse venait de lui échapper. L’injustice et la rapacité des agents de la République[41] avaient révolté les Suisses; l’aristocratie prit dès lors le dessus en ce pays; la France n’eut pas d’ennemis plus acharnés; leur neutralité ne fut plus qu’un nom et la frontière la plus vulnérable fut entièrement découverte.

Les ressources de la France dans tous les genres étaient entièrement épuisées, et, ce qui est pire que tout le reste, l’enthousiasme des Français était éteint. Toutes les tentatives pour établir une constitution libre avaient manqué. Les Jacobins étaient méprisés, et détestés, à cause de leurs cruautés et de l’extravagance de vouloir établir une république sur le modèle antique. Les modérés étaient méprisés, à cause de leur incapacité et de leur corruption. Les royalistes, turbulents dans l’Ouest, se montraient, à Paris, comme de coutume, timides, intrigants et surtout lâches[42].

Si l’on excepte Moreau, aucun homme, après le général qui revenait d’Égypte, n’avait de réputation et de popularité; et Moreau, à cette époque, voulait suivre le torrent, et, à toutes les époques, fut incapable de le conduire.

Chapitre XX

Dictature de Bonaparte

Washington lui-même eût été embarrassé sur le degré de liberté qui pouvait être confié sans danger à un peuple souverainement enfant, pour qui l’expérience n’était rien, et qui, au fond du cœur, nourrissait encore tous les sots préjugés donnés par une vieille monarchie[43]. Mais aucune des idées qui auraient occupé Washington n’arrêta l’attention du premier Consul, ou, du moins, il les crut trop facilement chimériques en Europe (1800). Le général Bonaparte était extrêmement ignorant dans l’art de gouverner. Nourri des idées militaires, la délibération lui a toujours semblé de l’insubordination. L’expérience venait tous les jours lui prouver son immense supériorité, et il méprisait trop les hommes pour les admettre à délibérer sur les mesures qu’il avait jugées salutaires. Imbu des idées romaines, le premier des malheurs lui sembla toujours d’être conquis et non d’être mal gouverné et vexé dans sa maison.

Quand son esprit eût eu plus de lumières, quand il eût connu l’invincible force du gouvernement de l’opinion, je ne doute pas que l’homme ne l’eût emporté et qu’à la longue, le despote n’eût paru. Il n est pas donné à un seul être humain d’avoir à la fois tous les talents, et il était trop sublime comme général pour être bon comme politique et législateur.

Dans les premiers mois de son consulat, il exerçait une véritable dictature, rendue indispensable par les événements. Talonné à l’intérieur par les Jacobins et les royalistes, et par le souvenir des conspirations récentes de Barras et de Sieyès, pressé à l’extérieur par les armées des rois, prêtes à inonder le sol de la République, la première loi était d’exister. Cette loi justifie à mes yeux toutes les mesures arbitraires de la première année de son consulat.

Peu à peu, la théorie réunie à ce qu’on voyait, porta à croire que ses vues étaient toutes personnelles. Aussitôt, la tourbe des flatteurs s’empara de lui; on les vit outrer comme à l’ordinaire toutes les opinions qu’on supposait au Maître[44]. Les Regnault et les Maret furent aidés par une nation accoutumée à l’esclavage et qui ne se sent à son aise que quand elle est menée.

Donner d’abord au peuple français autant de liberté qu’il en pouvait supporter, et, graduellement, augmenter la liberté à mesure que les factions auraient perdu de leur chaleur et que l’opinion publique serait devenue plus calme et plus éclairée, tel ne fut point l’objet de Napoléon. Il ne considérait pas combien de pouvoir on pouvait confier au peuple sans imprudence, mais cherchait à deviner de combien peu de pouvoir il se contenterait. La constitution qu’il donna à la France était calculée, si tant est qu’elle fût calculée, pour ramener insensiblement ce beau pays à la monarchie absolue, et non pour achever de le façonner à la liberté[45]. Napoléon avait une couronne devant les yeux, et se laissait éblouir par la splendeur de ce hochet suranné. Il aurait pu établir la République[46] ou, au moins, le gouvernement des deux Chambres; fonder une dynastie de rois était toute son ambition.

Chapitre XXI

Réorganisation de la France

Les premières mesures du dictateur furent grandes, sages et salutaires. Chacun reconnaissait la nécessité d’un gouvernement fort: on eut un gouvernement fort. Tout le monde se récriait contre la corruption et le manque d’équité des derniers gouvernements: le premier consul empêcha les voleries et prêta la force de son bras à l’administration de la justice. Tout le monde déplorait l’existence des partis qui divisaient et affaiblissaient la France: Napoléon appela à la tête des affaires les hommes à talents de tous les partis. Tout le monde craignait une réaction: Napoléon arrêta d’une main de fer toute tentative de réaction. Son gouvernement protégea également tous ceux qui obéirent aux lois, et punit impitoyablement tous ceux qui voulurent les enfreindre. La persécution avait ranimé les dernières étincelles du catholicisme: Napoléon prit le culte sous sa protection et rendit les prêtres à leurs autels. Les départements de l’Ouest étaient désolés par la guerre civile que la loi des otages avait fait renaître: Napoléon abolit la loi des otages, ferma la liste des émigrés, et, par un mélange judicieux de douceur et de sévérité, rendit à l’Ouest une tranquillité parfaite. Toute la France se réunissait pour souhaiter la paix: Napoléon offrit la paix à ses ennemis. Après que son offre eut été dédaigneusement rejetée par l’Angleterre et par l’Autriche, il soumit cette puissance par l’admirable campagne de Marengo, et ensuite lui pardonna avec une générosité folle. Le cabinet anglais, cette oligarchie vénéneuse, qui emploie au malheur du monde et à river les fers des esclaves les forces et les lumières qu’elle tient de la liberté[47]; le cabinet anglais, le plus formidable et le plus éclairé des ennemis du premier consul, abandonné par tous ses alliés, fut, à la fin, forcé à faire la paix et à reconnaître la République.

Chapitre XXII[48]

Le Concordat. Le Code

Napoléon n’avait déjà plus de rivaux parmi les grands hommes des temps modernes; il était arrivé au faîte de la gloire, et s’il eût voulu donner la liberté à sa patrie, il n’aurait plus trouvé d’obstacles.

On le louait surtout d’avoir rendu la paix à l’Église par son Concordat. Ce fut une grande faute et qui reculera d’un siècle l’affranchissement de la France; il aurait dû se contenter de faire cesser toute persécution[49]. Les particuliers doivent payer leur prêtre, comme leur boulanger.

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[41]

Par hasard le plus fripon de ces coquins se nommait Rapinat.

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[42]

Prudence. Surtout peu entreprenants. leur plus beau trait: cette conspiration de Lyon en 1817.

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[43]

Les généraux en 1814 préfèrent les titres de lieutenant-général et de maréchal de camp à celui de général de division et de général de brigade sanctifiés par tant de victoires.

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[44]

Carrion-Nisas en 1801, ou Ferrand, en 1815.

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[45]

Les actions du consul sont autant l’histoire de l’Europe que celle de France.

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[46]

Cinq directeurs renouvelés par cinquième et nommée par un Sénat conservateur; deux chambres élues directement par le peuple, la première, parmi les gens payant mille francs d’impôts: la seconde, parmi les gens qui en payaient dix mille, et renouvelées par cinquième. Un tel gouvernement est une recette sûre contre la conquête.

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[47]

Longueur. Cela ôte la lumière au sujet principal. À mettre ailleurs ainsi que la peur de la liberté, de l’autre côté de la Manche, faite à l’aristocratie anglaise. Les Anglais, après avoir eu peur de nos armes sous Napoléon, ont maintenant peur de notre liberté.

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[48]

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[49]

Au contraire, une fois pris le parti de la monarchie, qui n’avait pas les idées nouvelles en politique, a dû s’environner de la religion, lui donner un lustre, etc… (Note de Vismara.)

Il n’avait pas besoin du concordat pour régner sur un peuple d’une extrême indifférence sur la religion, et le seul obstacle sérieux qu’il ait rencontré, a été le Pape à Savone. S’il n’avait pas fait de concordat, le Pape eût toujours été a ses genoux. Cela fut très bien dit à Napoléon par le troisième consul le Brun. (Note de Stendhal.)