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On a beau être serrure de coiffeur, on ne s’en compose pas moins d’une gâche et d’un pêne, toutes choses qui amusent prodigieusement le petit outil que m’a légué depuis un certain jadis, un vieux malfrat qui m’avait à la chouette[4].

Le temps pour Pinuche d’éternuer trois fois, et la porte s’écarte doucement.

Nous pénétrons dans l’usine à frisettes. La Vieillasse éternue derechef, étant, assure-t-elle, allergique aux poils coupés.

Le salon n’est pas très vaste. Exclusivement réservé à la clientèle féminine, il ne comporte que trois fauteuils (lesquels font face à trois lavabos et sont surmontés de trois séchoirs à bras amovibles). Contrairement à ce que l’on pourrait croire, étant donné que le magasin est bouclé depuis six jours, deux personnes sont installées dans deux des fauteuils : une jeune fille en blouse blanche et Alfred. La jeune fille que je vous raconte doit être la shampouineuse d’Alfred. C’est une personne d’une vingtaine damnée. Elle est boulotte, brune et morte. Alfred, lui est d’une pâleur de triste cire. Il porte une veste de pommadin, dans les tons parme, qui doit être très belle lorsque deux litres de sang ne se sont pas répandus dessus comme c’est présentement le cas. Il est penché de côté et porte la raie à gauche et une plaie à droite. On lui a cassé sur le roof un gros flacon de cristal extrêmement épais. Au cours de ma tumultueuse carrière, j’ai remarqué qu’il n’y a pas plusieurs façons d’être mort : on l’est ou on ne l’est pas. Alfred ne l’est pas. Du moins pas encore car m’est avis qu’il a une sérieuse option sur le prochain départ pour l’au-delà. Un râle imperceptible sort de sa poitrine. Six jours de coma, faut le faire. La Vieillasse en éteint son mégot de saisissement.

— Juste ciel ! soupire-t-elle en s’approchant.

Je lui désigne une immense flaque noire sur le carrelage.

— Marche pas dedans, Pépère, tu pourrais glisser ! l’avertis-je en décrochant le téléphone afin d’affranchir mes collègues de la P.J.

Je recommande à ces messieurs d’expédier une paire d’ambulances dont l’une avec masque à oxygène et suspension télescopique. Ensuite de quoi je m’assois dans le troisième fauteuil pour me remettre de mes émotions.

— Tu parles d’un carnage, balbutié-je. Le gars qui a fait ça ne doit pas avoir les deltoïdes en cale sèche.

— Ils étaient au moins plusieurs, assure la Guenille.

Je m’abstiens de savourer son « au moins » pour donner du fil à ma curiosité.

— C’est ton avis ?

— Regarde : la demoiselle aussi a été assommée. Tu penses bien qu’un homme seul n’aurait pas pu estourbir Alfred et son employée, en pleine journée, sans que ça fasse du ramdam.

— Pourquoi, en pleine journée ?

Le Navré me désigne les deux victimes.

— Vise : ils sont en tenue de travail, et Alfred fermait sa boutique à six heures.

J’opine à tout va. D’ailleurs la concierge ne nous a-t-elle pas déclaré que vendredi soir, à l’arrivée de Berthe…

— Je me demande ce qu’est devenue la mère Béru, réfléchis-je (peut-être par émulation, à cause des miroirs du magasin ?)

— Tu crois qu’elle est concernée ?

— Y a pas de raisons qu’elle n’ait plus reparu…

— Bon Dieu, vise un peu, San-A. !

Son index tremblant me désigne un sac à main posé sur la table basse supportant des revues.

— Eh bien ?

— Le sac de Berthe ! Je le reconnais, c’est ma femme et moi qui le lui avons offert pour son anniversaire…

Il ouvre le réticule, une superbe pièce de maroquinerie, en matière plastique véritable imitant à ce point le croco qu’un caïman pleurerait en l’apercevant.

— Tiens, bavoche le Postillonneur, qu’est-ce que je te disais : voici sa carte d’identité, sa savonnette particulière, son gant de toilette privé marqué à son initiale et les clés de son appartement !

J’essaie de piger. Je parviens mal. J’ai beau frétiller des cellules, ma gamberge fait la toupie au bout d’un moment. On est vendredi, fin d’après-midi. Alfred et sa shampouineuse n’ont plus qu’une cliente lorsque Berthe radine. La concierge a parfaitement entendu le merlan déclarer « y me reste plus qu’une coupe et je boucle la cabane ». Berthe pénètre dans le salon… La porte se referme ! Pour la suite, mystère !

— Dis donc, hésite le Lamentable, ça ne serait pas Berthe, par hasard…

Il montre les deux assommés d’un hochement de tête avant de développer son hypothèse.

— Alfred, tu le connais : c’est un rude lapin. Rien de détonnant qu’il saute sa petite assistante. Suppose que Berthe se soit aperçue de la chose et qu’elle pique une crise de jalousie ! Tu l’as jamais vue en furie, la Grosse ? Moi si : un vrai typhon ! Je me rappelle d’un jour ou elle a tout cassé dans un restaurant parce que Béru caressait la croupe de la serveuse ! Imagine que son tempérament de tigresse l’ait poussée à l’irréparable. Elle estourbit les deux coupables et se sauve !

— Ensuite ? interrogé-je, les yeux perdus dans le vague.

— Elle erre comme une âme en peine, lieucommunise Pinaud. Son courroux s’apaise. Réalisant l’horreur de son acte, la malheureuse…

— Se jette dans la Seine ?

— Par exemple…

— Petit détail, objecté-je : cette tigresse en folie, son forfait accompli, aurait pris soin, en se sauvant, de fermer à clef la porte du salon ?

— Pourquoi non, Antoine ? Dans son égarement, elle a pu éprouver le besoin de mettre un obstacle entre son forfait et l’extérieur ; en langage psychiatrique, cela s’appelle, je crois, un refus de l’acte…

La perspective d’une Berthe assassine ne me botte pas.

— La Baleine est une gaillarde, une sanguine, une forte en gueule, Pinuche. O.K. pour l’accès de jalousie. Mais c’est pas le genre d’ogresse qui se sauve et va voir au fond de la Seine si j’y suis. Et puis tu oublies qu’il y avait une cliente dans le magasin, lorsqu’elle s’est pointée.

— La scène a pu avoir lieu après le départ de ladite cliente ?

Je me penche sur le pauvre Alfred.

— Sa vie ne tient plus qu’à un fil, dis-je. M’étonnerait qu’il soit transportable. Quant à sa shampouineuse, elle ne doit pas avoir de parents pour que personne ne se soit inquiété de son absence depuis six jours.

Sur cette remarque, la lourde du magasin s’ouvre. Je crois qu’il s’agit de la police ; en fait une aimable dame d’âge mûr aux cheveux gris-bleu pénètre en souriant dans la boutique.

— Messieurs dames, lance-t-elle à la ronde.

Elle s’avance vers Alfred.

— Enfin vous avez rouvert, gazouille l’arrivante, je me demandais où vous étiez passé ! Vous pourriez me prendre tout de suite pour un rinçage ?

Un pas supplémentaire conjure sa myopie. Elle voit, n’en croit pas ses yeux, fait : « Mais, mais, mais », en croit ses yeux et s’abat sur le parquet.

— Je pense qu’une des ambulances devra faire deux voyages, murmuré-je.

— Oh ! Oh ! lance une voix juvénile du haut d’un poirier. Nous levons la tête et apercevons Marie-Marie, à califourchon sur une branche.

— Qu’est-ce que tu fiches, là-haut ? lui crié-je, comme s’il était raisonnable de poser une telle question à un enfant logé dans un poirier.

— Je regarde venir ! répond l’Écureuil en achevant de haillonner son bloudjine au tronc rugueux de l’arbre.

Une cabriole et elle est devant nous, essoufflée mais radieuse.

— Votre vieille noix de Laronde est rentré, beurré comme une tartine y a seulement dix minutes, cafte l’espiègle. Je l’ai envoyé se plumer…

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4

Trop de « qui » et de « que » dans cette phrase. Ça l’alourdit. Je la publie néanmoins telle quelle pour montrer à mes jeunes lecteurs la hideur d’une littérature bâclée. Et aussi pour m’éviter d’en ciseler une autre.