L’exquise Chaglaate, ravie, archicomblée, archicomble, s’endort dans le creux de mon bras comme une qui vient d’apercevoir le septième ciel et qui le trouve trop beau pour être vrai.
Notre abandon est si total, si infiniment serein que je dors superficiellement pour ne pas gâcher cette perfection sensorielle par un sommeil trop profond, donc bêta et dénué d’intérêt.
Je flotte entre deux voluptés lorsqu’il me semble percevoir une espèce de léger glissement devant ma lourde. Cela ne dure pas. Ça a fait « vloutt », et point final. Peut-être s’agit-il de l’esclave qui fait la tournée des couloirs pour collecter les pompes à cirer ? N’entendant plus rien, je fourre mon nez contre le dos satiné de Chaglaate et décide de retrouver ce merveilleux état second qui garde un pied dans la réalité, et l’autre sur la peau de banane du songe. Mais va te faire sodomiser par un fer à friser électrique : impossible de retrouver mon délicat vadrouillement subconscient de naguère. Plus j’ai la volonté de décarrer dans les flocons du rêve, moins celui-ci se laisse approcher. Si bien qu’au bout de pas tant que ça, me voici pleinement réveillé, la tête froide, l’esprit lucide et le zœil prêt à la lumière.
Qu’en fin de compte, que veux-tu, j’éclaire. Y a simplement un léger zizi à actionner à dix centimètres de mon visage pour qu’une clarté orangée nimbe la pièce.
Je presse le bouton carré, si souple que tu le sens à peine sous ta peau.
Ça s’éclaire mélodieusement.
Je redresse ma tronche pour mater la porte. Chaglaate pionce toujours, délicatement. Tu croirais voir respirer la rose épinglée au revers de M. Mitterrand.
J’avise une tache claire et rectangulaire sur la moquette, pile devant la porte. D’un bond, San-Antonio se délite[7].
De quoi s’agite-t-il ? comme dit Bérurier, lequel, pour l’heure (tardive) en écrase à proximité. Presto, je cours ramasser la chose. Il s’agit d’un exemplaire du Dypaä Cekkoneri. Tu le pressens, et t’as raison, il s’agit bel et biente du numéro 824. Pas besoin de le feuilleter : il s’ouvre spontanément à la page 87, vu qu’on a plié l’hebdromadaire à l’envers afin qu’il se casse à cet endroit. Et m’apparaît alors la photo de la mystérieuse jeune femme que tenait tant à retrouver Arthur Rubinyol. Contrairement à ce que prétendait Nicéphore Péloche, elle figure seule sur la photo. Un gros titre. Mais en finnois, bordel de Zeus ! Je vais secouer la môme Chaglaate. Elle ouvre ses beaux châsses couleur de myosotis.
— Oh, oui, ja, si, encore ! roucoule cette insatiable, se méprenant sur mes intentions de vote.
— Un instant, petite colombe, j’aimerais que tu me dises d’abord ce que signifie ce titre.
Elle me traduit spontanément :
— Election de Miss Finlande.
— Pas surprenant qu’elle soit si choucarde la représentante de la race balte. Que dit l’article ?
La môme soupire. Etre arrachée aux rêves les plus doux, les plus humides, pour devoir ligoter un papier imprimé en finlandais, à la bonne tienne !
C’est le blabla d’usage. Le jury composé de vieux smouleurs. Les concurrentes… La victoire de Mlle Ianora Tanktuuvouudraä après une lutte épique. Ses origines, ses occupations. Son papa est forestier dans la région lacustre. Elle a embrassé la carrière d’institutrice. Un metteur en scène finnois l’a remarquée alors qu’elle promenait ses élèves. Lui a fait tourner un bout d’essai. Elle suçait mal mais baisait bien, alors il lui a confié le rôle de la jeune fille qui dit bonjour à la dame dans son film Le salage du hareng. Elle y fut remarquée par un publicitaire qui l’engagea. Elle posa pour une fabrique de conserves de rennes à la bretonne.
C’est tout bien raconté comme il faut, avec des points et virgules, astérisques, obélisques, braracourciques. Sa jeune vie admirablement détaillée, pour faire rêver les jeunes filles pâlottes, falotes et masturbées du pays. Le papier s’achève en expliquant comme quoi la môme Ianora, maintenant qu’elle a été proclamée Miss Finlande, va aller tenter sa chance en Suède, des fois que Bergman l’engagerait dans un chef-d’œuvre.
Je soupire :
— On ignore ce qu’elle est devenue.
— Ses parents doivent le savoir, objecte Chaglaate. On donne dans l’article le nom du pays où ils habitent…
— Qui a bien pu glisser ce journal sous ma porte, en pleine nuit ?
La môme, la seule question qu’elle se harcèle le cigare, c’est de savoir si je vais la rendormir avec un coup d’akvavit ou un coup de bite.
— Vous venez ? langoureuse-t-elle.
— Ce ne serait pas le rédacteur en chef, des fois ?
Elle fait la moue :
— Pluokksonkuü ? Ça m’étonnerait, il n’est pas serviable du tout. Mais peut-être a-t-il parlé de cet exemplaire disparu autour de lui et quelqu’un en aura retrouvé un…
— Quelqu’un qui me connaîtrait et saurait où je loge ?
Je décroche le bigophone. Le veilleur de nuit me répond après dix-huit bâillements, trois pets et une révision complète de ses jointures.
Il ne parle, outre son dialecte originel, qu’un peu de russe et de suédois dont je te fais cadeau. Je passe le combiné à Chaglaate en lui expliquant quelles questions elle doit poser. La voilà partie en jactance. Elle raccroche au bout de peu en déclarant :
— Non, personne ne vous a demandé. Et personne n’est entré dans l’hôtel depuis minuit.
Elle refait une tentative de séduction en adoptant une pose vachement érotoche sur le lit, plaçant ses jambes de telle sorte qu’il faudrait être aveugle pour ne pas voir où elle veut en venir.
J’y viens.
BORGGBORYYGME
C’est un des mille trois cent quarante-quatre îlots qui constellent le lac Chaariivarï.
Au-dessous de nous, le paysage est frédéric. Ce n’est qu’eau verte, forêt verte et ciel bleu. Notre hydravion tournique un instant au-dessus de l’archipel (à tarte), choisit son plan d’eau et pique de ses deux moteurs en direction de l’eau calme. Une gerbe gigantesque submerge le cockpit lorsque nous alaquissons. A travers ce rideau fluide on distingue la rive, brouillée, avec un ponton, quelques embarcations ventrues aux couleurs vives.
— Voilà Börggboryygme, annonce Chaglaate qui a eu la gentillesse extrême de nous accompagner.
Bérurier est pantois.
— Comment qu’y fait, l’pilote, pour savoir que c’est la bonne île av’c toutes celles qui pilulent autour ?
— Il compte les sapins depuis le départ, renseigné-je. Il sait qu’au quinze millionième il peut se poser.
Notre zoizeau aquatique court sur le lac, tel un albatros prenant son envol avec ses ailes de géant et va se ranger contre le ponton du térail.
Nous déhotons. Une grosse jeune dame blonde, flanquée de deux bambins blonds, et enceinte d’une petite fille de dix ou douze mois si l’on s’en réfère à son tour de taille (qui pourrait être tour de Pise) nous contemple d’un regard extrêmement sinueux et protubérant car elle louche. Et loucher avec des yeux bleus, c’est beaucoup plus duraille que de loucher avec des yeux sombres.
Chaglaate lui demande où se trouve la foresterie de la famille Tanktuuvouudraä. La femme aux deux garçons en bas âge et à la fillette en bas-ventre lui désigne une route admirable que tu te croirais en Suisse.
— Graäbr strouuudukk radmoül ! répond-elle d’une voix passive à se faire refoutre en cloque dès l’année prochaine.