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Il s’appelait Martinet, le rouquin géant.

Il nous a demandé ce que nous faisions là. Nous lui avons dit le plus gros. Alors il nous a emmenés à son campinge-car. Il avait installé son camp près d’une source où l’on a pu se laver. Il avait du café, du saindoux, du pain noir, du renne en conserve et de l’akvavit. Bravo. Nous nous sommes réparés. Après il a mis la radio parce que ça allait être l’heure des informes, à Helsinki ! On comprenait pas, mais lui si. Il nous a dit que ça causait de nous. Ils en faisaient un vrai fromage, les gars de Finlande Inter. Un hydravion affrété par des touristes français. Un moteur en feu. Le pilote saute en parachute in extremis. Les malheureux passagers brûlés vifs…

Ce pilote héroïque avait essayé de jouer de l’extincteur. Mais, ouitche foutre bite ! Va-t’en, en plein vol, éteindre un incendie de bord. Poser l’appareil sur un lac ? Les commandes ne répondaient plus ! Alors qu’il y en a tant, de par le monde, qui ne répondent pas à la commande. Il a été brûlé gravement profondément à l’auriculaire, le pilote. C’est un type d’expérience, pourtant, un certain Saälkonaar, Pietr Saälkonaar. Pietr, anagramme de pitre ! Il est de retour dans ses foyers, au milieu de sa dame et de sa petite fille. Sa dame prénomme Karëlinä, la petite fille on n’a pas le temps de retenir. Des recherches ont été entreprises pour découvrir les corps des passagers. Une jeune femme qui servait d’interprète aux touristes françouses a été à moitié retrouvée dans une clairière (l’autre moitié, tu le sais, flotte au bout d’un pin du nord). On s’active. Fin.

Martinet espère des réactions de notre part. Il en obtient.

— On va rentrer à Helsinki, décidé-je.

— Je vous y conduis, décide-t-il.

SARCELLES

Bon, je te quitte un rouquin pour un autre.

Rouquin au point où l’est Mathias, ça devrait lui suffire pour se faire remarquer, moi je trouve. Ben, non. Il en remet en s’affublant d’un costar qu’il estime « prince-de-Galles » et dont les énormes carreaux jaune citron et vert bouteille hurlent comme si on leur lançait des pierres. Pour couronner, il a mis une chemise bleu nuit et une cravate tricot bordeaux. Bien, laissons-lui la responsabilité de la chose. Nous vivons, pour quelques humbles temps encore, dans une société où la vestimenterie est laissée au libre arbitre du citoyen ; et, à condition de n’être ni sergent de ville, ni facteur, ni play-boy, on peut se fringuer comme on l’entend.

C’est ainsi accoutré que se pointe le Rouquemoute dans la chambre 1214 (Saint Louis est né à Poissy, ne l’oublie pas) après avoir montré patte rousse. Il tient à la main (c’est bien une habitude conne que de dire tenir à la main, non ? Je sais qu’on peut tenir avec les pieds, la bouche, voire même la bite, mais quand même on frôle le pléonasme avec « tenir à la main » ; alors je rectifie et je dis simplement qu’il porte) l’une de ces anciennes valisettes rondes, revenues en mode depuis quelques années, dont usaient les toubibs de jadis pour véhiculer leur stéthoscope Chappe et le maillet de tonnelier dont ils contrôlaient les réflexes de nos big parents.

Le sien est authentique, car le cuir en est râpé, craquelé et la manette rafistolée avec du sparadrap de lit. Il est urbain, Mathias. Il salue qui il doit en agitant ses grandes oreilles décollées, comme le fait un lapin domestique auquel on propose une carotte neuve. Ses lèvres minces de souris sourient, ses yeux rouges de lapin russe sont fondants comme une glace à la fraise oubliée sur un radiateur électrique, et ses joues tavelées de brun se creusent de fossettes courtoises. Le mot de lapin revient beaucoup lorsqu’on parle de lui car c’est bien à cet aimable animal que fait songer Mathias. Au reste, cher Oreste, quand tu lis la définition du mot lapin sur un dicbook, tu es immédiatement confirmé dans cette impression. Lapin y est ainsi défini : petit mammifère rongeur à grandes oreilles, à petite queue, très prolifique. C’est tout lui ! En effet, Mathias passe son temps à ronger un morceau de bois de réglisse, et il a six gosses.

— Voici ton client, lui dis-je en désignant le lit où gésit le pauvre Smoulard.

Il s’aggravit[17], va au plumard, se penche sur l’éjambé, lui soulève une paupière et se perd dans une méditation que nous n’avons garde de troubler. Mathias, je vais te dire : je cause pas suffisamment de sa pomme dans mes polars. C’est un garçon vachement singulier par sa pluralité, comme dirait le président. Il sait à peu près tout, invente le reste, fait des recherches dans toutes les branches de la science, son éclectisme étant stupéfiant, et pratique, au niveau le plus élevé, cet apostolat typiquement français et qui débouche sur les plus vastes horizons que nous nommons le Système » D ».

C’est l’homme des solutions de rechange, des biais, des tentatives, du « tout est possible ». Un jour, on fera un big bouquin avec un grand rôle pour lui, tu verras. Et on se poilera bien.

Le voici qui ouvre sa sacoche de cuir. Ce qu’il en sort, je te le donne pas en mille, tu ne pourrais plus t’en servir et ce serait trop duraille à découper : un diapason. Mathias tape la fourche sur le montant du lit et applique le pied de l’instrument sur le rocher (pas çui de Gibraltar, çui qui se trouve au temporal) de Smoulard. Il réitère ensuite en scrutant le fond de l’œil du malade au moyen d’une loupiote de fouille.

On reste à une métrée de lui, en demi-cercle, attentifs et confus d’ignorance. Mutisme de rigueur. Ce qui t’échappe mérite ton silence. Rien de plus corniaque que de parler d’une chose dont tu ignores tout, même qu’elle était.

Il passe dix bonnes minutes, l’Incendié, à réitérer sa manœuvre, la modifiant au gré de ses recherches. Après quoi il murmure :

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17

J’entends par là qu’il devient grave, tu t’en doutes un peu.