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Elle farfouille dans un tiroir, y trouve de quoi clarifier cette question épineuse des dommages et intérêts.

— Permettez que je compte av’c vous, fait Béru en amenant sa chaise tout contre les cuisses de la luronne, deux comptab’ vaut mieux qu’un.

Il passe son bras gauche sur l’épaule nue de Ninette et engage sa dextre par les voies moites de la gloire et de l’honneur. C’est un insatiable, le Gros. Il est vrai qu’il n’a pas eu l’occasion de faire à la Smoulard le rebelote promis, car j’ai coupé court et ramené la veuve chez elle presto-subito.

— Comptez bien, comptez bien ! recommande l’aveugle. C’est important.

Au bout d’un brin d’instant, Béru se dresse.

— Ecoutez, Ninette, dit-il, ici, on ne s’entend pas réfléchir avec ce bruit de la mer et tout ce vent, venez donc dans vot’ chambre.

— Mais elle donne sur le large ! avertit le Dabe.

— J’ préfère l’bruit du large à çui d’la mer, tranche le Péremptoire. Amenez-vous, ma petite, qu’aye pas gourance : les bons comptes font les bonzes amis.

Je demeure seul avec le vieux.

— Vous m’excuserez, dit-il, faut que je pisse. Chaque fois que je me lève dans la nuit, je dois pisser, c’est une question de vessie.

J’admets que l’hypothèse soit crédible. Souvent en effet l’urinage résulte de la vessie.

Il va ouvrir la porte et le vent furax entre en gueulant au charron. Le Dabe s’arc-boute pour lancequiner à contre-tempête. Il commence par le début, c’est-à-dire par se débarrasser d’un solide pet qui l’encombrait. Puis ses mains d’aveugle s’affolent devant son pantalon d’aveugle.

Il dit des « Mais ! mais ! mais ! ça alors, bordel ! » de plus en plus angoissés.

— J’ai pourtant pas bu, bougonne notre hôte (toi de là que j’humecte). V’là que je ne trouve plus ma braguette. Mais ! Mais… Oh là ! Oh ! la la ! Tant pis.

Et il compisse l’intérieur de son falzar.

— Voilà, je l’ai retrouvé, déclare Nicéphore en se la radinant avec, entre pouce et index, un cliché.

Il me le présente, je le saisis d’une main tremblante et l’élève en direction de l’ampoule électrique. C’est bien ce que je pensais. Ce que j’espérais. Péloche a contretypé la photo entière, c’est-à-dire que l’homme flashé avec la fille figure aussi sur la pellicule. Ce n’est qu’ensuite qu’il a sélectionné la Baltaise.

— Vous venez de faire quelque chose d’important pour votre pays, mon brave ! complimenté-je en serrant le cliché dans mon portefeuille.

— Où est ma femme ? Et votre ami ? s’inquiète le photographe au pyjaveste bétonné.

— Dans votre chambre, dit l’aveugle ; mais ne les dérange pas, ils sont en train de s’expliquer à propos du rôti.

PARIS

— C’est curieux, tout d’ même, des gonzesses qui n’raffolent qu’ d’ la pipe, rêvasse Béru. Comment t’expliques ça ?

Je n’explique pas, trop occupé que je suis à chercher parmi les nombreuses clés de mon trousseau celle qui délourde l’agence.

— Tu voyes, poursuit Béru, cette Ninette, elle m’a raconté qu’elle abomine l’embroque. Le turlutage, et uniquement le turlutage, c’est ça, sa longueur d’onde. Mais alors, pardon : tu la reçois cinq su’ cinq ! Quelle techenique ! C’est parfait ; abouti, quoi, comme y disent à la téloche, ces cons. Voilà : abouti.

Au lieu de m’extasier sur les mérites linguaux et salivaires de la femme Péloche, j’enquille ma carouble dans la serrure.

Tiens, on a fini par s’y habituer à cette agence et je la retrouve avec plaisir. Le parfum de Claudette flotte encore dans l’antichambre. Un rais de lumière passe sous la porte du couloir menant au labo de Mathias. C’est dans ce sanctuaire du Rouillé que je me dirige. Pauvre Rouquemoute ! Il est en train de suer des chandelles sur des condensateurs, des bobines, des entrelacs de fil électrique. Il n’est pas au courant des dernières nouvelles et il prépare fiévreusement l’appareil stimulateur susceptible de redonner de la mémoire au pauvre Smoulard. Ses taches de son ont l’air noires dans sa frime fatiguée. Ses yeux ressemblent à deux boucles d’oreilles perlières en forme de poires.

— Oh, c’est gentil de me rendre visite, dit ce gentil d’entre les gentils, je crois que je serai paré pour demain matin, commissaire.

— Laisse quimper, Grand !

Je le mets au parfum. Il est atterré.

— Mon Dieu, j’ai eu une scène épique avec ma belle-mère. Elle est venue spécialement de Lyon pour fêter son anniversaire en famille. Vous vous rappelez que Mme Clistaire est une personne de mœurs plutôt… rigides[23].

Sa déconfiture (de groseille) me navre.

— Ton travail servira sans doute dans une autre circonstance, mon Mathias, rien n’est jamais perdu, pas même un bienfait. Au besoin, j’écrirai un bouquin pour y caser ton invention. Pour l’heure, développe-moi ce cliché, c’est l’homme qui m’intéresse. Si je parviens à découvrir des choses à son propos, peut-être que cette saloperie d’enquête pourra repartir. Sinon, c’est la dégradation sur le front des troupes et l’exil à Saint-André-le-Gaz, mon pauvre Rouquin.

— Vous attendez ici ?

Je perçois le ronflement sonore de l’Épuisé, qui, la panse pleine et les bourses vides, n’a pu aller plus loin que le canapé de l’antichambre.

— Dans mon bureau, réponds-je, prends tout ton temps, je vais piquer un somme, moi aussi, en t’attendant.

* * *

Mon rêve, à quoi bon te le narrer. Un auteur qui raconte ses rêves est un auteur qui tire à la ligne. Rien de plus facile : tu racontes n’importe quoi, n’importe comment, t’en mets une forte dose, en dégageant bien le côté nébuleux, barbe à papa, ésotérique, et tout.

Et puis, quand t’en as assez, tu dis que tu te réveilles. Le lecteur s’est fait chier à lire ça, il a compris que t’étais un loustic et pas du tout un grand écrivain-à-la-mords-moi-le-neutre, façon Jean-Jacques Rousseau-Schreiber à qui l’on doit « L’Emile et une Nuits ». Et personne n’est plus avancé que Gros Jean, comme devant, ou comme derrière.

Moi, toujours est-il que j’en fais un, de rêve, drôlement érotique s’il te plaît, avec une gonzesse blonde qui suce admirable et qu’a les poils de la chatte pas frisés mais extrêmement soyeux, oh ! la la, tu peux pas te figurer comme !

Et puis quelqu’un m’arrache de ladite. Et tu l’as deviné, ce n’est ni plus ni moins que Mathias.

Bien que nous avoisinions les trois plombes du matin, il est frais comme un glaçon (car j’ai vu des gardons chez un poissonnier, pardon : tu repasseras !).

Radieux, sa tignasse flamboie pire que jamais, cela parce qu’elle est hérissée et, de ce fait, ressemble à un feu de bûches qui a bien pris.

Il agite un grand rectangle blanc d’une main qui me paraît être droite, malgré que je sois à moitié endormi et donc, à moitié réveillé ; et il brandit un petit rectangle blanc d’une seconde main qui ne peut qu’être gauche si la première est aussi droite que j’estime.

Il dépose l’un et l’autre sur mon burlingue, entre mes pieds écartés, car je dormais avec les nougats sur le bureau pour plus de confort. Comme il les pose après les avoir retournés, je constate que l’avers du grand rectangle blanc est noir et celui du petit écrit.

Sur le premier s’étale la photographie d’un bel homme aux traits aristocratiques : z’œil de velours clair, sourcils langoureux, cheveux blonds avec raie médiane, pommettes hautes, bouche admirablement dessinée ; bref, l’admirable bête qui fait chanceler les nanas. Ce qui me surprend un tantisoit, au fur mesure que je me réveille, c’est son accoutrement. Il est suranné. A croire que ce gars était déguisé. Peut-être s’agissait-il d’un comédien ? Il a un col dur, une cravate comme on n’en fait plus, une sorte de redingote, une fleur à la boutonnière, et plein de choses déconcertantes.

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23

Cf : « Le Standing » qui, s’il n’est pas resté dans les annales, restera dans les anus. San-A.