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Non ? Bande d'égoïstes, va ! Si on veut de la fiente de goret, suffit de vous accrocher un panier au prose !

Bon, d'accord, je continue ; mais c'est uniquement pour faire plaisir à mon éditeur, j'aime mieux vous le dire.

On descend de plus en plus mieux davantage, comme dirait Béru s'il ne dormait aussi profondément que les gisants de Westminster Abbaye.

Nous sommes maintenant à trois cents mètres de la banquise. On descend toujours, parallèlement a une paroi rocheuse… Deux cents mètres… Cent mètres quatre-vingt-trois (je cite selon une estimation toute approximative). Je me dis alors que cette glace est bizarre. Elle n'a pas l'aspect cristallin, translucide et pur de la glace normale. Comprenez-moi bien (si c'est pas trop vous demander), elle est opaque, elle est mate. Et tirez-en la conclusion que j'en tire moi-même : cette glace n'est pas faite avec de l'eau exposée à une température inférieure à zéro degré. On se rapproche de la surface… Je réalise soudain qu'il s'agit d'une étendue de verre dépoli. Vous avez bien lu ou faut que je vous le réécrive en majuscules ? Il y a là deux bons hectares de verre posé sur le sol. Je me pince[26] pour m'assurer que je dors pas. A quoi rime cette étendue vitrée ? Je ne vais pas tarder à le savoir et vous aussi, vu que pour une somme dérisoire je vous livre tous mes secrets, toutes mes découvertes et — qui pis est — mes pensées les plus profondes.

Le zinc descend, descend. Il prendrait de l'altitude, je vous dirais qu'il monte, monte, tellement je crois à la force des répétitions.

Et voilà que sous nous, un grand trou rectangulaire s'ouvre dans la surface vitrifiée. Il devient de plus en plus grand. Je pige que des panneaux coulissent comme le toit de chez Lasserre. Par la vaste ouverture j'aperçois quelque chose d'incroyable, quelque chose d'impossible… Je secoue Dominique :

— Regardez, chérie…

Elle regarde et le rouge lui monte aux joues[27].

— Est-ce possible ? dit-elle.

— La preuve, lui réponds-je.

Et, parvenu à ce point de ma narration, j'adresse une supplique à Dieu. « Seigneur, lui lancé-je, depuis le pôle Sud, pour la plus grande gloire de la littérature d'action, faites que je ne me paie pas une embolie avant le chapitre suivant. »

CHAPITRE VIII

Bon, allez : je vous raconte…

Figurez-vous que sous cette verrière qui donne, vue par en dessus, l'illusion de la banquise, se trouve un univers absolument, fondamentalement et tout ce que vous voudrez en « ent » différent de celui que nous avons survolé.

Je découvre des palmiers, des fleurs tropicales, un village en bambou. Pour un peu, c'est bibi qui l'aurait, le coup de bambou. Je vois des jardins pleins de roses, des pièces d'eau murmurantes (je les entends pas murmurer vu le boucan de l'hélicoptère, mais je devine), des cours d'eau, des plages de sable chaud, des types en short couchés en long et, à l'écart, une centrale thermo-magnéto-hépato-virago-statique à émoluments magnétiques.

Du Jules Verne rectifié par la science moderne. C'est beau comme une oasis pleine d'oisifs et d'oiseaux.

Sur un terre-plein aménagé au-dessous de l'ouverture coulissante, un vaste quadrilatère héberge une demi-douzaine d'appareils semblables au nôtre. Une lumière délicate comme un éclairage de musée accentue l'irréalité du spectacle.

— Fabuleux, balbutie Dominique. Presque aussi fabuleux que la course au Cosmos. Ça vaut les engins posés sur la Lune ou sur Vénus.

Elle n'en dit pas plus car le coucou s'est posé en souplesse, non loin des autres appareils. Nos gardiens nous font descendre assez brutalement, mais une fois à terre, la félicité ambiante nous enveloppe comme un peignoir chaud. Le moteur se tait et nous avons illico l'ouïe accaparée par un frémissement capiteux. Des abeilles bourdonnent, il fait aussi doux qu'au Cap d'Antibes en juin. Un velours ! Un rêve ! La Félicité ! L'Eden !

Par quel miracle cessé-je d'avoir l'estomac déchiré par une faim atroce, d'éternuer, de renifler, de mal respirer, de craindre, de douter, de redouter ? Nos geôliers ne m'impressionnent plus et leurs armes me semblent dérisoires.

C'est que nous venons de traverser des jours pénibles : la mort, le naufrage du sous-marin, la mort atroce sur cette terre hostile, la longue marche éprouvante…

Nos corps retrouvent ce pour quoi ils sont faits : le bien-être. Elle a besoin de clémence, la carcasse humaine. Il lui faut la tendresse des éléments. Nos sens veulent se repaître, voilà pourquoi nous avons besoin d'emmener paître nos yeux, nos oreilles et nos narines dans des paysages enchanteurs.

On nous encadre avec précaution, comme des Rubens, et on nous emmène vers une longue construction basse et légère vitrée sur toutes ses faces.

Nous entrons dans une pièce aux meubles bas, qui sent le thé et la rose. Un gros chat angora somnole sur un coussin… L'un des cons-voyeurs décroche un téléphone ultra-moderne et se met à jaspiner très vite. On dirait l'enregistrement accéléré d'un clavier de machine à écrire. Sans grand mérite, je devine qu'il met un supérieur au parfum de nos récentes aventures. Quand il a fini, il écoute, ce qui est la seule façon de se comporter au téléphone lorsqu'on ne parle plus et qu'on ne raccroche pas. Enfin il remet le combiné rouge orangé à son crochet et sort. Il revient peu après avec trois cabriolets qui ne sont pas décapotables, mais bel et bien en acier pur sucre. Dans le calme et la sérénité de l'endroit, ces instruments policiers semblent aussi anachroniques qu'un couvent de religieuses sur la scène du Casino de Paris (encore qu'on y trouve parfois son Eminence, Henri Varna en cardinal).

On nous fait asseoir en triangle sur le sol, et on nous unit, mains au dos à l'aide de ces trois paires de menottes. Après quoi, assurés de notre tranquillité, ces messieurs disparaissent.

Le gros chat angora s'étire et quitte son coussin germain (le motif représente un aigle) pour venir se frotter à nous.

— On est tout de même mieux ici que dans la caillasse, apprécie Béru. Si au moins ils nous filaient un petit coup de tortore, manière denous résurrectionner le moral…

— Je vous la laisserais contre un bon bain plein de mousse, rétorque Dominique…

— Et moi, contre un billet pour le jet assurant la liaison Paris-Pôle Sud, plaisanté-je, avec cette subtilité que vous ne m'ignorez plus.

Le chat qui faisait des grâces, le dos arqué, la queue droite comme le bâton d'un agent qui vient de siffler, prend une attitude songeuse et nous quitte pour gagner une porte coulissante, laquelle vient de coulisser, justement sans que nous y ayons pris garde.

Un personnage étrange se tient dans l'encadrement. Un Jap, à coup sûr (à moins qu'il n'ait la jaunisse). Il porte un complet de toile noire, bien coupé, une chemise blanche et une cravate blanche. Il a un bouton de rose rouge à la boutonnière et des lorgnons archaïques à monture d'or. Il est impassible, impeccable, impavide, impénétrable, impalpable, impatient et possède au plus haut degré l'art de s'impatroniser. C'est un homme d'environ cinquante ans, et des environs de Kyoto. Ses cheveux noirs et plats sont partagés par une raie un tout petit peu moins large que le boulevard Saint-Germain et ses yeux nous paraissent plus fixes et plus enigmatiques que ceux du chat. Il reste un moment immobile, à nous contempler. Enfin, il se décide et franchit le seuil de la pièce d'une démarche menue et précieuse de geisha.

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26

Vous pensez bien que non, c'est une image pour rester dans la bonne tradition romanesque. Faut être rudement tarte pour se pincer volontairement, et plus tarte encore pour ne pas savoir quand on est éveillé.

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27

À moins qu'il ne lui descende, j'ai pas bien vu.