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— Fais-moi un peu confiance que je suis paré pour la distribution.

— O.K. ! Go !

Je m'excuse de ces légers américanismes, mais dans les romans d'action faut toujours en mettre, ça fait plus vrai.

Je fais coulisser la porte avec brusquerie et nous bondissons hors de la cage d'acier.

Gentils amis du pauvre monde, laissez-moi vous le dire sans préambuler et avant que de déambuler : les bras nous en tombent comme sémaphore après le passage du train.

Il y a bien des veilleurs dans le camp, notamment près de l'ascenseur ; seulement ils sont morts.

Ça vous la cisaille au ras de la tige, hein ?

Ils sont morts comme sont morts toutes les précédentes victimes de ce gigantesque ouvrage : étouffés. Ils ont la langue sortie, les yeux dilatés, le visage noirâtre…

— Nom de foutre, glapit Béru, tu le vois bien que je ne suis pas l'assassin, San-A. Ceux-là, tu vas pas raconter qu'ils figurent à mon palomarès : j'étais enchaîné là-haut !

Au lieu de répondre, je me mets à marcher vers la construction où l'on nous a conduits lors de notre arrivée en ces lieux singuliers. Je fais coulisser la porte (bien obligé puisqu'elle est à glissière) et, pour vous impressionner, j'ai un haut-le-corps[30].

Deux Japonais gisent sur les coussins, aussi decédés que les gardiens. Je continue d'avancer… le docteur Chudanlmaki est étendu au travers de son lit, en pyjama de soie vert (pas le lit, le docteur), plus mort que l'arrière grand-père de Duguesclin.

Une brusque frénésie (si elle n'était pas brusque elle ne serait pas frénétique, d'accord, mais je suis pléonaste de vocation) s'empare de nous. Voilà qu'on se met à courir dans tous les sens. Et partout on bute dans des cadavres. Tout le monde est canné : les Japonais, les pas Japonais, Herr Hetick, les autres, et les cousins germains des autres ! On va de pavillon en pavillon et c'est la mort qu'on trouve. Les chats, les lions, la girafe, le crocodile, son beau-frère le caïman, les toucans, les poissons rouges, les serpents à sonnette, les serments à sornettes, les serres-mains à cornettes, tout ! Comme si une formidable épidémie avait balayé la vie dans l'oasis, soufflé comme les chandelles d'un gâteau ces existences si diverses.

— N'y aurait-il pas eu une quelconque émanation de gaz toxique ? suggère Dominique.

Elle n'a plus peur. On s'habitue à la mort. Elle s'évanouissait en voyant les premiers cadavres dans le sous-marin. Maintenant elle les enjambe.

— Plus le moindre souffle de vie ! conclut littérairement Bérurier.

J'sais pas où il a lu ce paragraphe, en tout cas il déclame :

— C'est l'anéantissement général, une sorte de fin de monde-miniature !

— Ta gueule ! lui intimé-je, c'est moi qui écris ça, rien de commun avec ton dialogue !

— Oh ! Pardon, s'excuse-t-il.

Il met ses bras en croix :

— Vous entendez ?

Nous prêtons l'oreille.

En effet, un bruit nous parvient, depuis le local où nous fûmes douchés et nourris. C'est un chant. Un chœur. Un chœur français chantant mie chanson bien française…

« Si je meurs, je veux qu'on m'enterre, dans une cave, où y a du bon vin… »…

— Non, je rêve, c'est des Français ! dis-je.

— Un disque qu'est resté branché, probable, assure le Mastar.

Et pourtant c'est aviné, on perçoit des couacs, ça déraille, ça hésite, ça s'amplifie…

« Goûtons voir, oui, oui, oui. Goûtons voir, non, non, non…

Nous nous mettons à courir. Une porte fermée à clé… On prend de l'élan, ensemble. C'est un réflexe qui nous est commun. Vrraoûm ! La lourde vole en éclats…

Le silence s'établit.

Si j'osais, je me paierais un nouveau haut-le-corps, mes gamins.

Je peux pas moins faire, tellement que c'est peu vrai, ce que nous apercevons…

Le commandant Hiscope, son second, son équipage et les deux mecs de la Défense sont là, assis en rond par terre autour de bouteilles de saké plus au moins vides.

Beurrés comme des tartines !

Si je voulais chiquer les auteurs à sensation, je devrais changer de chapitre, j'sais bien, manière de ménager mes effets, comme disait un gars de la S.N.C.F. qui était très économe, et par conséquent pas riche du tout. A cinquante ans il voulut acheter une maison à tempérament, ce qui l’obligea d'engager sa progéniture jusqu'à la seizième génération, de donner par testament son alliance ainsi que sa pendule Westminster, et de léguer ses carreaux à la banque des yeux. Mais je m'égare, comme disait son chef.

Donc, l'équipage et les passagers de l'Impitoyable se trouvent réunis, presque au complet, si l'on excepte le professeur Lavoisier-Mélanie-Canot, le steward et un matelot.

Bérurier éclate en sanglots et réfugie son désarroi contre ma poitrine.

— Et moi que je croyais avoir échappé au rayon de la mort ; sanglote-t-il. J'sus donc clamsé tout de même ? Je rêve dans l'autre vie ? Je me berlure ? T'es une illusion de San-A., dis, San-A.

Trop commotionné personnellement pour lui faire un cours, je me sépare de lui et m'approche des autres.

— Salut, fait le commandant. Alors ils vous ont récupérés aussi ? J'sais pas ce qu'il y a dans ce saké sacré, je veux dire dans ce sacré saké, mais on se sent tout chose, mes gars et moi… Quel bon vent, commissaire ?

— Vous… vous… vous…, commencé-je.

— Quoi, nous, nous, nous ? rigole l'officier.

J'ai cette question digne de votre vieille concierge, celle qui a des boutons à poils et des maux d'estomac.

— Vous n'êtes donc pas morts, tous ?

— Foutre non ! rétorque le commandant. Nous avons seulement passé une douzaine d'heures en état léthargique. Tous les symptômes de la mort… Mais… heug… pas morts ! Nous avons eu le fin mot, ici… Le petit toubib jap, comment se nomme-t-il ?… Bref, il nous a expliqué… on a inoculé je ne sais quelle vacherie à votre copain… C'est lui qui file la pistouille aux gens… Mais l'effet ne dure que douze heures… Vous vous rendez compte, si on avait su : nous qui avons immergé le prof et les deux autres !

Ça le fait marrer ! Il se claque les jambons… L'hilarité gagne ses hommes (servilité peut-être ?). En moins de trente secondes, on est tous plies en quatre à l'idée des trois gus dans les sacs, et qu'on a balancés à la sauce depuis le pont de l'Impitoyable.

Voyez comme l'être humain est stupide : sur le moment, alors qu'on croyait immerger des cadavres, on était lugubre comme des policemen ; et maintenant qu'on sait que les trois personnages se trouvaient seulement en état d'anesthésie, on se fend le pébroque à s'en nouer l'œsophage !

Ça nous paraît être une bonne blague ! On rit ! On se boyaute ! On se trémousse ! On s'étrangle. Bérurier surtout !

Il nous aboie des exclamations. Il pleure littéralement.

— Tu te rends compte, gars : on a failli enterrer le barbu australien, alors qu'en ce moment il pêche à la ligne ! Et l'ours Jimmy, que je lui ai cisaillé une autre paluche pour pouvoir briffer ! Oh ! ce que c'est drôle !

On se calme un peu. On se congratule. On se révèle des choses. Nous on leur dit qu'ils ne sont plus prisonniers maintenant, vu que tout le camp est contaminé. Eux, nous apprennent comment ils se sont réveillés à bord de l’Impitoyable… De l’eau sourdait par la porte du poste d'équipage… Ils ont pigé qu'on avait ouvert le sas… Alors ils sont descendus au magasin chercher les équipements de plongeurs… Une fois sur la terre ferme, au lieu de prendre à gauche, comme nous, ils ont obliqué à droite. C'était les traces de leur passage que nous trouvions : la montre, les os de manchots… Un hélicoptère les a aperçus. Il s'est posé… Ces pommes ont couru vers l'appareil avec des cris de joie, mais on les a accueillis fraîchement, en les braquant !

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30

Dans les romans policiers, ne pas oublier avoir un haut-le-corps si l'on entend bien marquer la surprise.