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CHAPITRE VI

— Regardez !

Oh ! matelot de Christophe Colomb niché dans ton mât de misaine, tu n’as pas eu, en criant : « Terre », la voix plus pathétique que celle d’Alexandre-Benoît Bérurier.

— Regardez ! répète cette vigie vigilante.

Il nous désigne quelque chose (bien sûr) à terre. Je vous laisserais bien deviner ce dont il s’agit, seulement nous serions encore là demain, et, vous m’excuserez, mais mon temps est very precious.

Ce qu’il nous montre, c’est une petite flaque d’huile qui moire au soleil. Elle a des reflets bleus et verts. C’est beau, une tache d’huile dans la lumière.

— Kidihuiledimoteurkidimoteurdisalut ! lance d’un trait ce grand pétomane de la pensée contemporaine. Décomposée et remise en forme, la phrase donne : qui dit huile, dit moteur ; et qui dit moteur, dit salut. Sous-entendez par-là qu’un moteur appartient à un véhicule piloté par hommes et que des hommes dotés d’un véhicule sont susceptibles de nous apporter le salut. Voilà. Je vous remercie de votre attention. Je mate ce paysage bosselé, tout en récifs et en dépressions[22].

— Une chenillette ? demande le Gros.

— Non, un hélicoptère, mon pote. Regarde, la flaque d’huile se trouve sur une partie plate, et l’on ne voit pas d’huile ailleurs.

— Je crois que t’as raison, ou en tout cas que t’as pas tort, approuve l’oursophage, un hélicoptère français, à ton avis ?

— Excuse-moi de ne pouvoir t’apporter cette précision, mais les cocardes n’ont pas laissé de traces sur le sol, camarade.

Ma rebuffade ne le rebuffe pas.

— Un coléoptère n’a pas une grande anatomie de vol, fait-il, conclusion, y a sûrement une base à proxénète.

— Voilà qui est pensé, Béru. Considérons qu’il part de dorénavant, nous nous trouvons dans une zone contrôlée par des humains…

— Elle l’est ! s’écrie Dominique, laquelle s’est éloignée de nous pour fureter, voyez !

Elle nous montre un large cercle rouge grossièrement peint sur la roche.

— Ça serait pas ça, le cercle polaire, des fois ? hasarde l’Estimable.

— Que nenni, réponds-je, il s’agit d’un repère…

— Un repère de brigands ?

— Non : d’un repère pour les hélicoptères. Cette plate-forme doit être utilisée, assez fréquemment, à des fins qui m’échappent. Si m’en croyez, bonnes gens, bivouaquons ici et surveillons les nues[23]. Lorsqu’un zinc apparaîtra, nous nous cacherons derrière les rochers.

— Se cacher ! T’es pas louf, alors qu’au contraire précisément on attend du secours !

— Faut-il encore que nous soyons certains d’en attendre de ces gens-là, mec…

Un petit reliquat d’ours mal cuit, et c’est encore la nuit. Un nid de roches, la belle étoile, Dominique dans mes bras, ses cheveux dans ma bouche… Le sommeil indécis. Les rêves tendres ou agités. Et puis la ronde des heures. Et l’aube aux doigts d’or…

L’aube nauséeuse. L’aube en forme de cauchemar, qui souligne notre lente décrépitude. L’aube qui nous donne mauvaise bouche et mauvaise conscience, qui fait crépiter nos estomacs comme de la paille foulée.

Je suis éveillé, mais je renonce à me lever quand me revient en mémoire ma décision de la veille. Puisque nous devons attendre, mieux vaut attendre en serrant la petite contre moi. Mais à peine ai-je pris cette tendre décision que je décèle un lointain ronronnement.

Vite, je secoue mes compagnons.

— Les voilà ! Les voilà !

Ils sursautent. Je leur désigne l’horizon opaque ou traîne un ciel de suie très béraudien.

Vous entendez ?

Le bruit caractéristique d’un hélicoptère devient de plus en plus présent. Cachons-nous !

La veille, prévoyant comme vous savez, j’ai repéré une anfractuosité surplombée par un rocher. Je suis certain qu’une fois tapis dans ce tiroir naturel on ne peut nous apercevoir depuis le ciel.

Empilés, nous attendons. Le vrombissement devient bientôt un vrai fracas et l’hélicoptère surgit. C’est un gros appareil dont le type m’est inconnu. Il n’a pas la forme d’une banane, mais plutôt d’une poire dans laquelle on aurait planté une petite girouette d’enfant.

Il se balance un instant au-dessus de nous, comme accroché à quelque fil invisible. Le vent de ses pales nous fouette le visage. Enfin, il se pose délicatement, son moteur s’arrête cependant que ses grands bras moulinaventesques continuent un instant leurs grands gestes. Je devrais me sentir soulagé. Eh ben non, mes très chers frères, au contraire, une sorte d’angoisse m’étreint. Il me semble que je vais voir déhoter des êtres surnaturels, tombés là comme martiens en carême.

Et ça ne rate pas. Les quatre mecs qui jaillissent de l’appareil sont petits, coiffés de casques métallisés et vêtus de combinaisons argentées. Ils portent des lunettes à verres bleutés et de loin, je constate que leur morphologie diffère de la nôtre.

— Mince, dit Béru en modifiant toutefois les trois lettres centrales de ce mot anodin afin de lui donner plus d’allure, c’est des gus d’un aut’ monde !

Le comportement des arrivants est aussi surprenant que leurs personnes. Ils dégagent de la soute de l’hélicoptère une espèce de petit canon démontable qu’ils vont dresser à quelques mètres en arrière de l’appareil. La bouche du canon est braquée sur la direction d’où nous venons. Les petits hommes coltinent ensuite une caisse d’obus près de l’affût et se mettent à bombarder à tout berzingue, modifiant chaque fois l’angle de tir. Les obus éclatent dans le ciel, très loin de là, comme des projectiles de D.C.A. Chose curieuse, ils ne visent aucune cible.

— Qu’est-ce qu’ils font ? demande Dominique.

— Ah ! si vous pouviez me le dire, mon chou…

Après avoir tiré une douzaine d’obus, les hommes argentés déplacent leur canon et vont le placer face à la mer. Nouveau pilonnage à blanc…

— Dis donc, grommelle Sa Majesté, on ne va pas rester ici jusqu’à Vital éternua[24].

Comme quoi, chez cet être surprenant, homme d’action ne peut rester longtemps contemplatif.

— Non, mon père, on ne va pas, dis-je… Seulement faut agir en douceur car nous ne savons pas à qui nous avons affaire…

Je réfléchis à toute biture car, vous ne l’ignorez pas, mes amours, il n’y a qu’un truc en ce monde capable de réfléchir plus vite que San-Antonio, c’est un miroir.

— Ça va se passer de la manière suivante, décidé-je.

J’éternue, une fois, deux fois… Béru idem et Dominique aussi. On s’efforce d’éternuer pendant les coups de canon. On se synchronise les atchoums. V’là qu’on a froid… Ça nous prend tout d’un coup. On claque du bec. On grelotte…

— J’ai compris, dit ma compagne… Ils se livrent à une opération de refroidissement. À la suite de certaine expérience, ils ont provoqué un réchauffement de cette contrée, maintenant ils la refroidissent avant que n’arrivent en force des missions d’enquête. Voilà pourquoi ils retardaient par tous les moyens notre arrivée ici…

— Les tantes ! gronde le Rancuneux, alors ce sont eux qui ont fait de moi un assassin meurtrier ? Bouge pas, que j’y cause de… Atchoum…

Le froid nous tombe sur le paletot, de plus en plus sec, de plus en plus mordant. M’est avis que le thermomètre doit descendre plus vite que le locataire du troisième lorsque l’immeuble est en train de cramer.

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22

J’étais sur le point d’en faire une.

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23

Qu’est-ce qui me prend de causer de cette manière, dites ?

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24

Le Gros a voulu dire ad vitam aeternam.