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Cette maison est celle d’un vieux célibataire maniaque. Il y a du désordre, des marottes et de quoi boire. Son clebs et son bavard constituaient ses uniques compagnons. Le chien pour ses silences, le cacatoès pour ses conversations, c’était la vie privée bien comprise, en somme !

Je me paie la visite approfondie des lieux, mais je ne découvre d’intéressant que les tenues qui, vraisemblablement, nous sont destinées. Un bath harnachement pour excursion polaire, les gars. Le plus poilant, c’est que ces fringues correspondent à nos mesures, comme quoi, malgré sa fièvre, le Vieux a le compas dans l’œil et de la suite dans les idées.

Nos fringues de fourrure sont empilées dans une cantine de fer. Je décide de les embarquer. Maintenant il s’agit de se rapatrier sur Hobart et de dégauchir notre sous-marin.

La cantine est trop lourde pour que je puisse la coltiner sans ressembler à une publicité pour maison de déménagement, aussi la traîné-je dans le jardinet, devant la porte, en me promettant de la récupérer plus tard avec le Mahousse.

Le loulou de Poméranie, écœuré par le décès de son maître et mon coup de pompe aux miches s’est éclipsé. Peut-être aussi qu’elle avait les crocs, cette bête. Je me plante devant le pauvre perroquet enchaîné. Il incline sa tête de côté afin de me considérer de bas en haut à l’aide de son œil gauche. L’oiseau semble morose.

— T’as sûrement tout vu, toi, hein, Coco ? l’interpellé-je. Ah ! si tu pouvais parler…

— Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-il, me rappelant ainsi qu’il peut parler, contrairement à ce que je viens de déplorer.

Il me cligne de l’œil. Je lui rends sa politesse.

— Ce que c’est, Coco ? Une histoire de c… ! assuré-je poliment (puisque je ne l’ai pas dit en toutes lettres). On gomme nos installations du pôle Sud, Coco. On bousille notre correspondant d’ici. Et pendant ce temps, mon éminent collaborateur est en train de faire l’âne avec des kangourous. À part ça, la santé est bonne, les enfants travaillent bien en classe et les plaies variqueuses de grand-mère se cicatrisent, je te remercie.

— Comment allez-vous ? conclut l’aimable volatile.

— Tu t’exprimes correctement, mais t’as pas beaucoup de conversation, Coco. Je te rendrais bien ta liberté, seulement, comme la plupart des hommes, tu ne saurais pas qu’en faire. Allez, au revoir, mon pote, je laisserai la porte ouverte en m’en allant pour que les voisins ne te laissent pas moisir ici.

— Quelle heure est-il ? demande l’oiseau.

— Bientôt onze plombes, mon pote, sursauté-je, on se fait vieux à toute allure.

Je charrie la cantine de fringues sur la pelouse où le jet d’eau de la vasque continue d’uriner et je reprends le chemin de la place. L’émission est achevée et des gus en salopette démontent le matériel. Instantanément la petite bourgade est devenue déserte. Les rues vides brillent sous la lune. Les lumières des maisons se situent toutes au premier étage, indiquant que les naturels du patelin vont se cloquer la bidoche sur les étagères. Je gagne notre hôtel. Contrairement aux autres demeures, l’In-the-pocket est éclairé à giorno. Un piano mécanique y sévit et un peuple de jeunes gens aux faciès abiérés[4] surmènent leurs vessies en entonnant des chopes de bière, et leurs cordes vocales en entonnant des chansons à boire. Ça s’appelle un cercle vicieux car chanter donne soif et boire donne envie de chanter.

La môme de tout à l’heure sert les clilles. Elle a une demi-douzaine de mains sur les fesses, plus autant dans le bustier. Une vieille chouette affreuse, mais qui pourtant lui ressemble, tient la caisse : sa maman, c’est évident. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais beaucoup de jolies filles ont pour maman des fées carabosses. Ça devrait donner à réfléchir aux enthousiastes, non ? Avant de traîner les petites pin-upes à la mairie, ils devraient se dire qu’un jour elles deviendront aussi tarderies que leurs vioques. Quoique, notez bien, à notre époque, la dame sur le retour emploie des tas de procédés pour retarder des ans l’irréparable outrage. La nana d’aujourd’hui vit sous le signe de la crème astringente, du lait de beauté, de la lotion antiride et du massage électrique. Moi je connais des bergères de quarante-cinq berges qui chiquent encore à la fillette et des douairières qui laissent entendre qu’elles sont nées après leurs enfants.

Je fends la foule des ivrognes pour aborder la choucarde barmaid. Je crois que j’ai oublié de vous préciser que la toute ravissante se prénomme Nelly.

— Vous n’avez pas vu mon copain, je lui demande ?

— Il est dans sa chambre, me dit-elle.

La réponse ne laisse pas que de m’étonner. Béru au plumard, alors que l’alcool ruisselle à plein bord ici ! Voilà qui ne lui ressemble pas.

Vous n’ignorez pas que j’ai un sixième sens, mes amis ? Ou alors, si vous l’ignorez encore, c’est que vous ne m’avez lu qu’entre les lignes jusqu’à présent. Brusquement, je sens poindre en moi une inquiétude.

Je bouscule les Tasmaniens de l’estaminet pour foncer jusqu’à la piaule de Sa Majesté. Au moment d’en actionner le loquet, je perçois un bruit de conversation. Un homme (qui n’est pas le Gros), et une femme (qui n’est pas non plus Béru) discutent à voix basse. J’entre rapidement et je prends dans les carreaux une vision très insolite. Une grosse nana à bourrelets compensés, avec des bajoues, du rouge à lèvres violet et des cheveux plus roux que le grand incendie de Chicago peint par Van Gogh, est occupée à rajuster ses bas, assise sur le lit où gît Lajoie. Le Gravos est inerte. Debout devant la table, un type à mine de croquemort en deuil range une seringue de Pravaz dans son étui de métal.

Mon arrivée fait tressaillir tout le monde, à l’exception de l’exceptionnel Béru, lequel m’a l’air aussi inconscient qu’un caillou au fond d’un puits.

— Qu’est-ce que c’est ? demandé-je rudement.

La dondon dodue me lance un sourire à six dents et deux chicots.

— Vous êtes avec lui, garçon ? me demande-t-elle.

— Yes, madame, civilisé-je, que lui est-il arrivé ?

Elle a une moue indécise, un geste vague en direction de l’homme à la seringue.

— Dites-lui, doc, fait-elle en verrouillant le système de sécurité de son porte-jarretelles muni d’un anti-viol nœud-man.

Le personnage lugubre consent à me sourire à son tour. À peine, du bout de ses longues ratiches qui sont artificielles mais bien plantées.

— Petite défaillance cardiaque due à l’absorption d’une trop forte quantité d’alcool.

— Comment est-ce arrivé ?

La forte dame raconte, en enfilant son autre bas.

— Il a gagné le concours, à l’émission de télé. La dernière épreuve, c’était le jeu des cabinets…

— C’est-à-dire ?

— Les concurrents sont enfermés dans des lavatorys dont la cuvette est en réalité un récipient. La chasse d’eau est emplie de whisky, vous voyez ?

— Et alors ?

— Celui qui boit le contenu de la chasse a gagné.

Elle me montre l’Inanimé.

— Et il a gagné.

Une mauvaise rogne m’empare. Le goret de Béru. Se payer une syncope éthylique au moment où tout merdoie autour de nous, y a que lui pour oser, je jure bien !

— Sur le moment, poursuit la grosse Poupette, il a tenu bon. Il m’a même proposé de venir prendre le dernier verre ici, et c’est ce qu’on a fait. On n’aurait pas dû. Je l’ai monté coucher. Et pendant que je me déshabillais pour lui faire une bonté, il a tourné de l’œil…

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4

Ici, pas question d’être aviné.